« Nous avons découvert qu'un gène, FKBP6, est essentiel pour la fécondité spécifiquement masculine », explique au « Quotidien » le Dr Josef Penninger, de l'Académie des sciences autrichienne à Vienne, qui a supervisé cette recherche, fruit d'une collaboration entre des chercheurs autrichiens, américains, japonais et canadiens.
Un rôle inattendu
« Le gène est intéressant puisqu'il appartient à une famille de gènes qui ont été auparavant impliqués dans l'immunosuppression et la maladie cardiaque. On ne s'attendait pas du tout à ce que ce gène contrôle la fécondité. Nous pensions en fait que le gène FKBP6 serait important pour la fonction cardiaque mais, hélas, le seul endroit où nous pouvions le trouver était dans les ovocytes et les spermatozoïdes », poursuit le Pr Penninger. « Lorsque nous n'avons rien pu trouver, nous avons laissé de côté les souris knock-out pendant un an. Et puis un jour, Mike Crackover, le chercheur postdoc, dans mon laboratoire, qui a fait une bonne part du travail, m'annonce que les mâles ne procréent jamais. Nous les avons examinés et découvert alors avec surprise qu'ils avaient des testicules de taille extrêmement réduite. »
« Nous avons démontré la fonction de FKBP6 de deux façons : 1) chez la souris knock-out. Lorsque le gène FKBP6 est inactivé chez la souris K.-O., les ovocytes paraissent parfaitement normaux, tandis que tous les spermatozoïdes meurent. Le résultat est l'absence totale de spermatozoïdes, avec pour conséquence la stérilité ; 2) par identification de la mutation de FKBP6 chez des rats spontanément stériles. Depuis de nombreuses années, des chercheurs essayent de découvrir la mutation responsable d'aspermie chez un rat spontanément mutant (as/as). Après avoir découvert l'anomalie chez nos souris, nous avons réalisé que nos souris ressemblaient à ces rats spontanément mutants. »
« Il est estimé que 15 % des couples dans le monde ne peuvent avoir d'enfants en raison d'une stérilité. Peu de causes génétiques de stérilité ont été identifiées chez les humains », rappelle-t-il. « D'après nos données chez les souris mutantes et les rats spontanément mutants, il serait intéressant de chercher à savoir si des mutations de FKBP6 sont responsables de stérilité idiopathique de l'homme. »
Appariement des chromosomes durant la méiose
« Ce qui est vraiment sensationnel, c'est que nous avons découvert que FKBP6 fait partie du complexe protéique (complexe synaptonémal) qui tient ensemble les chromosomes maternels et paternels durant la méiose dans les cellules germinales », explique au « Quotidien » le Dr Penninger.
« La méiose est un processus de vie fondamental chez toutes les espèces à reproduction sexuée, qui permet l'échange génétique entre les génomes maternel et paternel. Des anomalies dans l'alignement de haute précision des chromosomes durant la méiose, ou dans la ségrégation du génome dans les gamètes, produisent des aneuploïdies comme la trisomie 21. L'aneuploïdie est une cause première de fausses couches chez les humains et un signe cardinal de nombreuses cellules cancéreuses humaines », rappelle-t-il.
« Dans notre étude, lorsque la protéine FKBP6 est absente, les chromosomes ne savent plus quel est leur partenaire approprié et s'apparient en fait avec des chromosomes non homologués. Nous proposons par conséquent que FKBP6 représente une molécule cruciale dans l'appariement des chromosomes homologués durant la méiose et que d'autres protéines de la famille de FKBP6 pourrait jouer un rôle dans le contrôle de l'appariement chromosomique, ainsi que pour la stabilité des chromosomes dans la mitose et le cancer », conclut-il.
Des précédentes études chez des souris mutantes présentant des anomalies de la méiose montrent que la spermatogenèse est plus souvent compromise que l'ovogenèse. La protéine FKBP6 compose aussi le complexe synaptonémal dans les ovocytes, mais les souris knock-out femelles sont fécondées et leurs ovocytes semblent normaux. Il reste à étudier, disent les chercheurs, si la perte de FKBP6 chez les femelles entraîne une aneuploïdie chez leur progéniture. Il est aussi possible que d'autres protéines du complexe compensent pour la perte de FKBP6 dans les ovocytes.
« Science » du 23 mai 2003, p. 1291.
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