« JE VOUS PENSE bien accueillants ; je suis Paul, le bavard silencieux. »
Des mots magiques sortis d'un doigt. Paul est tétraplégique et malvoyant, ne peut pas parler mais utilise la méthode de la communication facilitée grâce à laquelle il tape sur un tout petit clavier avec son seul doigt mobile. Paul a hurlé, au sens propre, sa détresse pendant des années avant de pouvoir s'exprimer avec des mots. Depuis sa petite enfance, ses parents, Jane et Lucien Melki, luttent pour sortir leur enfant de l'enfer de la solitude ; ils lui lisent toute leur bibliothèque, le font voyager, cherchent hors de l'Hexagone des méthodes de rééducation et de pédagogie plus adaptées. L'utilisation de la communication facilitée, à 12 ans, est pour Paul « sa vraie naissance ». Malgré la difficulté, il se met alors à écrire, révélant du même coup sa culture, accumulée pendant ces années de silence verbal : non seulement il comprend le français et l'anglais (la langue de sa mère) mais il sait lire et écrire, possède un sens sérieux de la formule, un humour décapant, une capacité d'analyse psychologique impressionnante pour son âge et un appétit de connaissance insatiable. En 1998, il commence par écrire des poèmes, de petits textes magnifiques où chaque mot a l'éclat et la force de la perle rare, longuement mûrie avant de rédiger ce journal de bord. Contrainte mais aussi résultat de son handicap, chaque phrase est longuement méditée et polie dans les vagues de son mutisme.
Le résultat est magnifique ; à mille lieux des épanchements narcissiques de bon nombre d'écrivains actuels. Paul évoque son quotidien, sa souffrance et celle de ses proches, la lassitude de sa dépendance physique mais aussi la vie en général, la réalité qui l'entoure, son questionnement spirituel, la littérature, ses révoltes d'adolescent. L'écriture est également le seul dialogue qu'il peut avoir avec ses parents (sa mère Jane, dite Ma Reine, et son père alias Ramsès ou Pharaon) avec qui les relations, comme pour tout adolescent qui se respecte, sont tantôt fusionnelles tantôt orageuses.
Ce journal va de 1998 à 2003. Entretemps, il a été admis au lycée Wittmer de Charolles, dans la région du Morvan où il réside avec ses parents, comme auditeur libre. Quelques-uns de ses poèmes, publiés antérieurement dans « le Cheval de mer », figurent dans l'ouvrage. Fraîcheur de l'adolescence et gravité de celui à qui la maladie a volé l'insouciance se mêlent intimement dans une écriture puissante pleine
d'imagination et d'humour.
Rêves et cauchemars.
Dans l'intimité de sa boîte crânienne, Paul Melki fait de somptueux voyages dans le temps et dans l'espace car l'illusion, dit-il, « est la mère nourricière de nos rêves féconds ». Des cauchemars éveillés aussi devant ce qui lui est à jamais interdit. « Je rêve de filles que je n'aborderai jamais, je rêve de conneries entre copains, je rêve de tout ce qui m'est impossible. Ma rancœur est immense. Perdre l'amour de vous deux (ses parents) serait la fin fatale. » Il ne faut pas croire pourtant que l'amertume domine le propos. Loin de là. Intelligence, finesse d'analyse, enthousiasme contagieux de « savourer le plaisir immense d'être enfin un acteur de ma vie » transportent le lecteur. L'écriture a pour partie délivré Paul de son carcan ; d'ailleurs, que fait Paul quand il se désespère ou quand il souffre ? « Paul Premier ne se décourage pas, il perd ses vers... » Elle lui permet aussi à l'occasion de se rebeller : « Si Pharaon me cherche, je te le téléporte au siècle des Pyramides et je te le mure derrière un sarcophage », menace-t-il tout en admettant bien que « père Lucien dit Pharaon est la première roue de mon carrosse ».
Comme tous les adolescents, il tombe amoureux « toutes les secondes » mais, chez lui, d'autres problèmes se posent, ce qui lui fait dire qu'il préférerait « ressembler à Adonis même con comme un balai » plutôt qu'habiter ce corps ressemblant à un cep noueux. Car la question lancinante qui le hante est celle de savoir s'il est possible de vivre seulement avec une âme et un doigt mobile, fût-il un doigt de fée, même si « le plaisir d'écrire est comme éprouver une grande fraternité ». Celui de le lire aussi.
« Journal de bord d'un détraqué moteur », Paul Melki, Calmann-Levy, 154 pages, 13 euros.
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