La question des retraites est le genre de dossier où tout le monde a raison : le gouvernement a raison de proposer une réforme capable d'assurer la solvabilité des régimes à long terme ; les cotisants, et notamment ceux qui travaillent dur, ont raison de rejeter l'idée même d'une amputation de leurs revenus quand ils se retireront.
Le problème n'est pas seulement social, il est politique : on trouve une très forte majorité de Français contre le projet du gouvernement, alors même que cette majorité ne peut pas ignorer la menace de faillite qui pèse sur son avenir. Jean-Pierre Raffarin en est donc à imposer des mesures qui sont rejetées par la population, malgré le très intense effort de communication auquel lui et ses ministres se sont livrés. C'est même un paradoxe que les interventions télévisées ou radiodiffusées de François Fillon, le ministre des Affaires sociales, aient déclenché nombre d'éloges alors que le contenu de ses propos continue d'être très vivement combattu. C'est un peu comme si les Français admiraient l'exercice de style sans en retenir la leçon, comme s'ils demandaient à l'Etat de trouver les recettes inexistantes qui permettraient de financer à la fois des carrières plus courtes et des retraites appelées à s'allonger sous l'effet d'une espérance de vie croissante ; comme si, en définitive, ils ne croyaient pas au phénomène de l'insolvabilité.
Dialogue de sourds
Le gouvernement a énoncé ce qui était encore négociable, notamment le retraite du smicard. Il ne renoncera pas pour autant à l'alignement des fonctionnaires sur le secteur privé, pas plus qu'au système de décote qui amenuisera la retraite du salarié s'il ne travaille pas 40 ans (et plus tard, 41 et 42 ans). M. Raffarin peut-il s'en tenir à ce qu'il a dit après la journée de protestation, de grèves et de manifestations d'hier ? Il le peut s'il ne craint pas une grève générale ou plusieurs répétitions du 13 mai. Mais il ne devrait pas sous-estimer le danger.
Il n'est pas nécessaire de se référer au précédent de 1995 pour imaginer un avenir immédiat plutôt sombre. Qu'on le veuille ou non, il y a une incompréhension majeure entre le gouvernement d'une part, les syndicats et la population d'autre part. Dans ces conditions, la réforme peut-elle être amendée ? En fixant à l'avance ce qui est négociable (et n'est pas essentiel dans le projet), M. Raffarin a beaucoup limité le débat. On sait pourquoi : après tout, il ne s'est pas lancé dans la réforme pour son plaisir personnel, mais par nécessité. Il lui faut donc mettre au point un système qui ne sera pas déficitaire. Or, bien que son projet soit déjà très vivement combattu, il ne suffira pas à équilibrer les comptes et, à l'horizon 2020, une contribution budgétaire aux régimes de retraite est d'ailleurs prévue.
Les syndicats affirment que leurs propositions peuvent protéger l'essentiel des retraites tout en assurant leur solvabilité. Ils négligent toutefois le fait que, pour le moment, on n'a touché ni à la SNCF ni à EDF, dont les retraites sont extrêmement généreuses. Des syndicalistes ont suggéré de refaire l'unité entre le privé et le public en revenant aux 37,5 années de cotisations. Cette idée n'est pas réaliste, elle brouille le message syndical. Depuis dix ans, une injustice majeure accorde au secteur public des avantages que le privé n'a jamais eus ou dont il a été dépossédé en 1993. Le consensus qui réunit les deux secteurs aujourd'hui vient de ce qu'on demande aux salariés du public des sacrifices qu'ils n'ont pas faits et qu'on demande des sacrifices supplémentaires au privé, notamment avec la décote et le prolongement des carrières au delà de 40 ans entre 2008 et 2020. Mais les fonctionnaires qui appellent aujourd'hui le privé à la rescousse ne se sont jamais émus de la prolongation des carrières du privé.
Tout dépend du métier
L'unité est donc de circonstance. Il ne saurait être question de monter un secteur contre l'autre ou de faire des fonctionnaires des boucs émissaires. Ils occupent, bien entendu, une place essentielle dans la société, surtout ceux qui veillent à la sécurité et à la santé de leurs concitoyens ou à l'éducation de leurs enfants. Mais l'égalité, si vantée et si peu respectée, entre les citoyens, commence par l'élimination des privilèges. Il n'y a aucune raison d'accorder à un fonctionnaire des primes sur lesquelles il ne paie pas d'impôt, de lui permettre de prendre sa retraite deux ans et demi plus tôt que les autres Français et de le faire bénéficier d'un Fonds de retraite complémentaire défiscalisé qui n'existe pas dans le privé. En revanche, il est impératif de tenir compte de la pénibilité du travail et d'admettre par exemple qu'une infirmière de nuit s'use à son métier et doit pouvoir travailler moins de quarante ans. La question ne porte donc pas sur le secteur mais sur la nature de la profession. C'est peut-être à ce sujet que le gouvernement n'a pas su envisager un système assez souple pour épouser les différences entre les métiers.
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