Les langues régionales dans la Constitution ?

Le français d'abord

Publié le 23/06/2008
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C'EST RASSURANT, parce que, pour une fois, ce n'est pas le vieux fossé idéologique qui sépare les élus. Le Sénat vient de rejeter un amendement au projet de loi de réforme des institutions qui prévoyait la mention de nos langues régionales dans le texte fondamental. Or le gouvernement avait cédé à une partie des députés de la majorité pour ajouter cette clause dont on ne saurait dire qu'elle passionne, dans un sens ou dans l'autre, nos dirigeants. Rachida Dati s'est donc retrouvée au Sénat pour défendre un amendement de type politicien qui ne risquait pas de déclencher en elle un torrent de passion. De toute façon, c'eût été en pure perte : dans leur majorité, les sénateurs n'en veulent pas et il y a fort peu de chances que la question des langues régionales revienne sur le tapis.

Mais la querelle a peut-être permis une manoeuvre de diversion : la gauche réclamait un mode de scrutin plus démocratique pour le Sénat, la droite ne veut pas en entendre parler ; et c'est un point de contentieux qui fera peut-être capoter la réforme : la droite refuse que les sénateurs soient élus d'une autre manière parce que le système actuel, qui repose non sur le suffrage universel mais sur des grands électeurs, lui garantit à peu près que le Sénat restera encore longtemps à droite. Aussi bien dira-t-on, si l'on est quelque peu objectif, que le mode d'élection du Sénat est archaïque. Mais ceux qui ont quelque chose à perdre dans le changement le rejettent. C'est humain et c'est dommage.

LE FRANCAIS A PLUS BESOIN D'ETRE DEFENDU QUE LES LANGUES REGIONALES

Le Sénat existe.

Attaqués de la sorte, les sénateurs veulent prouver qu'ils existent, qu'ils sont utiles et, même, dans la question des langues régionales, qu'ils peuvent empêcher une incongruité. Le sénateur Michel Charasse, toujours intéressant parce qu'il ne met pas de gants pour s'exprimer, estime que, à ce compte-là, on pourrait introduire à peu près n'importe quoi dans la Constitution. C'est un excellent argument et, pour autant que le débat persiste envers et contre tout, il y a d'autres lieux et d'autres niveaux institutionnels pour en parler.

Pour notre part, un libéralisme au moins aussi profond que celui de Bertrand Delanoë nous incite à croire que les langues régionales ont droit de cité et que personne ne devrait s'inquiéter de ce que les habitants des régions les fassent vivre. Sinon, elles finiront par disparaître, ce qui, certes, serait un malheur relatif, mais contribuerait néanmoins à l'effacement de nombre de traditions françaises.

Il y a quelque vingt-cinq ans, quand la question a été évoquée lors du premier mandat de François Mitterrand et que Jack Lang, avec sa fougue habituelle, militait pour une renaissance des langues régionales, nous étions favorables. Mais, à cette époque, la dégradation du français n'avait pas atteint la démesure d'aujourd'hui. La suprématie de la télévision, le langage codé des SMS, les dialogues en charabia sur Internet, le mépris de la grammaire, l'ignorance de la syntaxe, la compression à 2 000 mots du vocabulaire ont fait du français une langue fort maltraitée, et même soumise à la torture, par les Français eux-mêmes.

Faut-il approuver les auteurs de dictionnaires qui s'empressent chaque année, au nom du réalisme, d'ajouter des mots venus d'ailleurs, ou tout simplement créés par les borborigmes d'une jeunesse parfois inaudible ? Nous ne le pensons pas. Si le français est une belle langue, c'est parce qu'elle est servie, aujourd'hui encore, par les malheureux dinosaures qui s'efforcent de l'écrire raisonnablement. Mais si les massacreurs du langage l'emportent, il n'y aura plus de belle langue.

Un code national.

Nous n'irons même pas jusqu'à demander que la défense du français soit inscrite dans la Constitution ; nous souhaiterions que le français soit défendu dans tous les moyens de diffusion de la connaissance, médias, presse, livres. Défendre notre langue, c'est se plier aux règles qui la régissent et non les bafouer. L'idée selon laquelle le français doit évoluer sans cesse au point de perdre la mémoire de ce qu'il est, est absurde. L'idée qu'il peut se passer de sa grammaire, des étymologies, et même de son vocabulaire est absurde. Car qu'est-ce qui fait la beauté d'une langue, qu'il s'agisse du français ou des autres languages, sinon sa complexité, ses spécificités et même certaines formes désuètes qui, si elles revenaient dans le langage de tous les jours, acquerraient une force nouvelle ? Bref, le français d'abord, le corse et le breton après. La langue est un code national. Tous les Français doivent parler de la même façon. Mettre les langues régionales devant le français, ou même à côté, c'est favoriser la transformation actuelle du français, et lui conférer une insupportable vulgarité.

> RICHARD LISCIA

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8398