L IONEL JOSPIN ne devrait pas souffrir durablement du passé trotskyste qu'il a enfin confessé, bien que son « aveu » soit tardif et qu'il eût été infiniment plus convaincant s'il n'avait jamais nié.
Cependant, les révélations qui fusent à propos de cette affaire, nous décrivent une sorte d' underground gauchiste dont on mesure l'influence si on le rapproche des comportements sociaux contemporains. Il semble bien que la société post-soixante-huitarde ait été durablement imprégnée d'idées discrètement distillées par des maîtres à penser qui, sans jamais prendre les rênes du pouvoir en France, ont formé quelques générations de Français.
Marxisme et humanisme
Pour résumer, le « trotskysme » consiste à prendre du marxisme ce qui est bon, après l'avoir purifié du stalinisme. Autrement dit, la révolution communiste, qui a été dévoyée par le totalitarisme, doit être recommencée, poursuivie, achevée, et triompher « historiquement » du capitalisme. Le trotskysme serait une sorte de marxisme humaniste, capable à la fois d'assurer la croissance économique et d'établir un régime parfaitement égalitaire pour tous les citoyens.
Le marxisme a laissé une empreinte qui n'épargne aucun de nous ; rares sont les Français qui s'opposent à toute forme de redistribution des revenus. On peut dire que, sans la révolution d'Octobre, la Sécurité sociale n'existerait peut-être pas et que les Français doivent les avantages sociaux qu'ils ont acquis depuis un siècle aux pressions exercées par les syndicats et à la peur que la menace d'une révolution inspire à la bourgeoisie.
Dans ces conditions, il est logique que persistent, dans le mouvement des idées, la lutte pour l'égalité et contre la cruauté des forces du marché. Les dérives qui ont précédé l'échec du stalinisme ont renvoyé beaucoup de gens aux sources pures du marxisme. Ils ont constitué des groupes qui formaient à leurs idées, de manière presque clandestine, des hommes ou des femmes qui, tout en s'accommodant de la démocratie et du fonctionnement de l'économie de marché, continuent à nourrir des concepts qui font la synthèse de ce qu'ils ont appris et de la réalité politique et sociale du pays. Par exemple, dans telle ou telle grande école, on a peu de chances de réussir si on sort du sillon marxiste ou si on n'est pas à la fois marxiste et antistalinien.
Politiquement correct
Doit-on en conclure que nombre de nos dirigeants sont influencés par le trotskysme et que, tout en respectant le cadre des institutions républicaines, ils s'efforcent d'appliquer les notions qui ont enthousiasmé leur jeunesse ? En tout cas, nous avons aujourd'hui un Premier ministre qui reconnaît avoir suivi des « cours » de trotskysme dans une officine animée par des hommes qui ne cachaient pas leurs convictions.
Personne n'ignore que M. Jospin, qui se réclame aujourd'hui du socialisme et de la gauche, se gardera de jeter son pays dans une aventure. Personne ne croit non plus qu'il est un révolutionnaire déguisé en bourgeois qui attend le grand soir à l'hôtel Matignon. Personne ne pense qu'il a un projet secret ou qu'il se moque des valeurs démocratiques.
Mais peut-être lui reste-t-il d'une jeunesse passionnée une pulsion, ou un rêve que le pouvoir dont il dispose lui permettrait de réaliser.
Le trotskysme, comme le gauchisme, comme les idées de 1968 qui ont profondément changé la société française, forment à peu près ce qu'on appelle aujourd'hui le politiquement correct. A part quelques hommes ou femmes qui s'affirment comme des partisans du libéralisme économique et démontrent avec plus ou moins de talent, plus ou moins de succès, les niaiseries et parfois l'ineptie du politiquement correct, le mode de pensée national est dominé par l'égalitarisme. On ne se demande plus quelle est la voie la plus rationnelle vers le succès économique et social, on dénonce l'injustice, la pauvreté, l'exclusion comme si le seul moyen de les abolir consisterait à neutraliser ceux qui ne souffrent pas de ces maux. Au point que même à droite, un homme comme Jacques Chirac a inventé la « fracture sociale » et repris à son compte quelques thèmes de la gauche. Sans doute parce qu'il sait qu'on ne peut pas tenir en France un autre discours et que le trotskysme a fait son uvre.
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