L'intoxication aiguë par l'éthylène glycol est rare, mais potentiellement grave. Elle est responsable de l'apparition d'une acidose métabolique avec élévation du trou anionique, en rapport avec la formation d'acide glycolique produite par l'alcool déshydrogénase (ADH). Les intoxications graves peuvent se compliquer d'insuffisance rénale aiguë, de coma, d'incompétence myocardique et de défaillance multiviscérale. Ces manifestations sont liées à la précipitation de cristaux d'oxalate de calcium, terme ultime du métabolisme de l'éthylène glycol dans les tissus.
Le traitement classique associe la perfusion de bicarbonates, l'inhibition du métabolisme de l'éthylène glycol par l'alcool éthylique, et l'élimination des métabolites toxiques par l'hémodialyse.
L'éthanol injecté par voie intraveineuse doit être utilisé en continu et sa posologie être réadaptée de façon fréquente en analysant les concentrations plasmatiques. Son administration est par ailleurs mal tolérée du fait de la survenue d'événements indésirables neurologiques (ébriété, troubles de la conscience, hypoglycémies).
L'efficacité du traitement par l'éthanol est souvent limitée et le recours à la dialyse est fréquent contre la toxicité neurologique et rénale de l'éthylène glycol.
Bien que ce type d'intoxication soit peu répandu en France, une équipe de l'AP-HP a entrepris un travail de recherche multicentrique afin de mettre au point un inhibiteur spécifique de l'alcool déshydrogénase capable de s'opposer à la formation des métabolites toxiques du glycol responsables de l'essentiel des manifestations cliniques.
Le travail de trois unités de l'AP-HP
Trois unités de l'AP-HP ont collaboré à la mise au point de l'inhibiteur de l'alcool déshydrogénase, le fomépizole ou 4-méthylpyrazole, dénué d'effets secondaires. Le service clinique de réanimation médicale et toxicologique du Pr Frédéric Baud (groupe Lariboisière-Fernand-Widal) a analysé les données bibliographiques et chimiques, ce qui a permis de sélectionner le fomépizole pour la mise en place d'essais cliniques.
L'équipe de toxicologie analytique du Pr Alain Astier (hôpital Henri-Mondor, Créteil) s'est chargée du dosage de l'éthylène glycol dans le plasma des patients intoxiqués. Une équipe du développement des médicaments (établissement pharmaceutique de l'AP-HP, pharmacie centrale des Hôpitaux de Paris, sous la responsabilité du Dr Dominique Pradeau) a mis au point le médicament qui a ensuite obtenu son AMM. Par rapport à l'éthanol, le fomépizole présente, en dehors de sa puissance d'inhibition, d'autres avantages : vitesse d'élimination plus lente, bonne tolérance clinique (et notamment neurologique), plus grande facilité d'utilisation. Cette molécule peut être employée par tous les services d'urgence médicale préhospitalière ou hospitalière et par les services de réanimation dès la prise en charge du patient intoxiqué, y compris dans des établissements qui ne disposent pas de moyens de dialyse. Un travail publié en 2005 par l'équipe parisienne confirmait l'efficacité du fomépizole qui, utilisé en première intention, permet de réduire de façon très significative le recours à la dialyse en préservant la fonction rénale.
Des essais en préhospitalier
«En 2006, nous avons testé avec succès le fomépizole en préhospitalier dans le cadre d'une intoxication à l'éthylène glycol. La mise en place du traitement a été possible grâce à l'apport des appareils de biologie délocalisés qui existent dans les camions du Smur 93 et nous ont permis de confirmer le diagnostic par l'existence d'une acidose profonde. On pourrait imaginer que, avec la généralisation des moyens biologiques délocalisés, le fomépizole puisse être disponible au sein des postes de régulation des Samu et être délivré de façon spécifique aux équipes amenées à prendre en charge ce type d'intoxication», analyse, pour « le Quotidien », le Pr Frédéric Adnet (Samu 93). Aujourd'hui, le fomépizole est utilisé en première intention en France dans la prise en charge hospitalière des intoxications à l'éthylène glycol.
Fort logiquement, le fomépizole a été testé dans d'autres types d'intoxication mettant en jeu l'alcool déshydrogénase. C'est le cas, par exemple, de l'intoxication par le méthanol. Plusieurs études ont confirmé l'efficacité de cette molécule dans le traitement des intoxications au méthanol et le fomépizole est désormais recommandé en première intention devant un cas d'intoxication par le méthanol.
Antidotes aux neurotoxiques organophosphorés
Trois unités du service de santé des armées ont été récompensées par le prix Galien 2005 pour un travail sur les antidotes aux neurotoxiques organosphosphorés. Le traitement de ces intoxications est connu depuis les années 1960 : il repose sur l'injection de sulfate d'atropine. Mais l'adjonction d'autres molécules permet d'améliorer le pronostic et d'augmenter la survie des combattants intoxiqués. C'est par exemple le cas de l'avizafone, la prodrogue du Valium qui est dotée d'un effet anticonvulsivant et de la pralidoxime, un réactivateur des cholinestérases. L'utilisation conjointe de ces trois molécules permet à la fois de contrer les effets du toxique et de régénérer les cholinestérases. L'idée d'associer ces trois traitements dans une seule et même seringue auto-injectable a été appliquée au début des années 1990, lorsque les premiers stocks d'auto-injecteurs d'atropine dont disposaient les combattants français ont été périmés.
Plutôt que de faire appel à des fournisseurs extérieurs, on a décidé la mise en place d'un réseau de développement au sein des unités de recherche et du service de santé des armées : le centre de recherche SSA de Grenoble était chargé de la pharmacologie, la pharmacie centrale des armées du développement pharmaceutique, de la galénique et du développement analytique ; enfin, le service de santé des armées a travaillé en collaboration avec une entreprise extérieure (SedatT, Irigny) à l'élaboration de l'auto-injecteur.
Les chercheurs ont concentré leur travail sur la mise au point d'un dispositif novateur, l'auto-injecteur en matière plastique contenant les trois substances lyophilisées. Ce dispositif contient une cartouche en matière plastique et un solvant. Le mélange peut être reconstitué facilement et il reste stable pendant quelques mois. Lorsque les molécules contenues dans l'auto-injecteur sont arrivées à péremption, il suffit de changer la cartouche contenant le lyophilisat ; le mécanisme peut alors être de nouveau stocké.
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