LA « BAGDADISATION ». Ce barbarisme dit bien la montée de la barbarie durant l'été dans la capitale afghane, à l'instar de la situation de sa voisine irakienne. Des combats meurtriers parfois intenses continuent d'opposer dans l'Est et le Sud, comme à Kandahar, des troupes de l'Isaf (International Security Assistance Force, contingent militaire envoyé par l'Otan) et des talibans. Mais c'est maintenant Kaboul qui est menacée de déstabilisation. Et les militaires ne sont plus les seules cibles des terroristes islamistes : enlèvement d'un groupe de 23 évangélistes sud-coréens membres d'une association humanitaire, de deux ingénieurs allemands, meurtre de deux Sud-Coréens et d'un Allemand, rapt d'une expatriée allemande d'une ONG. Sans oublier les Français Eric et Céline, membres de Terre d'enfance, qui avaient été enlevés en avril et libérés le mois suivant, ni le journaliste italien retenu prisonnier quinze jours en mars.
«Face à cette spirale de la violence, les volontaires sont évidemment exposés à la peur, témoigne le Dr Eric Cheysson, vice-président de la Chaîne de l'Espoir, de retour de Kaboul. Mais parmi eux je n'ai vu personne qui songe à abandonner. Partir ferait le jeu taliban et précipiterait le pays dans le chaos, exposant le monde entier à une onde de choc.»
Etat de siège à l'hôpital.
A l'Institut médical français pour l'enfant, inauguré en avril 2006 par Bernadette Chirac, le chirurgien assure que les volontaires font montre dans leur engagement d'une ferveur comme il n'en avait pas rencontrée depuis « l'Ile de lumière », en 1979, au secours des boat people vietnamiens. «Mais, constate-t-il, depuis cet été,c'est l'état de siège. L'équipe médicale de la Chaîne (un chirurgien, deux médecins, trois infirmiers, deux pharmaciens et un biotechnicien) ne quitte plus l'enceinte militarisée de l'hôpital.»
Même renforcement des mesures de protection, mais sur un autre mode, pour les membres d'Aide médicale internationale (AMI), la principale ONG française présente en Afghanistan, avec un staff d'employés locaux de près de 3 000 personnes et une équipe d'une dizaine d'expatriés. «Nous sommes passés à une invisibilité+++, avec une banalisation totale de nos convois et des gardes non armés autour de nos équipements, explique Stéphanie Durand, la responsable du programme afghan à l'Ami. Pour limiter au minimum les risques, nous multiplions les contacts avec la population, à tous les niveaux.»
Cette stratégie de la sécurité par le lien social et l'insertion dans la population est aussi celle qu'a retenue Médecins du monde (MDM) pour sécuriser ses troupes. C'est notamment le cas pour la mission Réduction des risques sur Kaboul, lancée en avril 2006 pour prendre en charge les usagers de drogue très nombreux parmi les ex-membres des camps de réfugiés. MDM est aussi très vigilante pour la vingtaine d'employés des deux centres de protection maternelle et infantile de Kaboul que l'association soutient, en cours de « passage de mains » à des ONG locales.
MSF toujours sous le choc.
A Médecins sans frontières (MSF), en revanche, contrairement à la rumeur, aucun retour de mission n'est actuellement à l'étude. Après l'assassinat de cinq volontaires en juin 2004, dans le nord-est, l'ONG privilégie la sécurité de ses équipes. Un souci d'autant plus pressant que MSF s'est toujours refusée à intervenir sous protection armée, quelle que soit la situation. «Naturellement, précise une responsable à Paris, nous continuons à suivre l'évolution de la situation au plus près possible, avec une mission en Iran qui intervient auprès de réfugiés afghans.» A l'organisation Prix Nobel de la paix, on souligne que le retrait des humanitaires est de toute manière général, le Cicr (Comité international de la Croix-Rouge) restant le principal acteur sur le terrain.
Avec 1 179 collaborateurs dont 62 expatriés, la Croix-Rouge reste, de fait, très présente sur ce qui constitue l'une de ses opérations les plus importantes dans le monde (accès à l'eau, réhabilitation d'hôpitaux, soins de santé, actions anti-mines, etc.), avec une dégradation de la situation qualifiée de «considérable».
Dans ce contexte délétère, les humanitaires encore présents essayent d'augmenter leur engagement. C'est le cas d'AMI qui vient d'emporter un appel d'offres de la Commission européenne pour l'administration sanitaire de deux nouvelles provinces, le Kunar et le Laghman, dans l'est, en plus de la province du Samangan, dans le nord. «Il devient cependant très difficile d'accéder à certains centres de santé, convient Stéphanie Durand, qui peine à recruter des expatriés (sept postes sont actuellement pourvus sur la dizaine nécessaire). L'Afghanistan n'est peut-être plus une destination humanitaire à la mode», note-t-elle.
Pour sa part, le Dr Cheysson se félicite de réussir à recruter de nouveaux volontaires : une équipe chirurgicale dirigée par le Pr Sylvain Chauvaud (Hegp) vient d'effectuer une mission de quinze jours à Kaboul. Une autre équipe prendra le relais en octobre, deux infirmières s'envolent cette semaine pour un mois et demi et elles seront suivies par deux autres infirmières la semaine prochaine. «Le flux ne se tarit pas», se félicite le vice-président de la Chaîne, qui observe que «c'est un nouveau profil d'humanitaire qui se dessine aujourd'hui: plus des baroudeurs style french doctors, mais des professionnels de santé qui n'étaient jamais partis et qui, après une première mission à Kaboul, malgré les risques, sont candidats pour revenir. Une dynamique s'est instaurée, comme on n'en avait pas connue auparavant. C'est la dynamique de la médecine française, avec des médecins et des soignants qui se subliment dans ce grand hôpital à la française que nous avons construit. En dix-huit mois de fonctionnement, pas moins de 3000enfants y ont été opérés, dont 290 à coeur ouvert, et 23000 consultations y ont été totalisées».
Emportée par son élan, la Chaîne de l'Espoir, toujours en partenariat avec l'Aga Khan, planche maintenant sur un projet d'extension de l'hôpital de Kaboul, qui pourrait passer d'une centaine à 400 lits ; une maison des enfants pourrait aussi voir le jour, ainsi qu'une consultation mobile embarquée dans un car chirurgical, pour aller à la rencontre des populations.
La sécurité, le premier des médicaments.
Kaboul n'est certes pas l'Afghanistan. Comme le souligne le Dr Guy Cosset, responsable du programme afghan à MDM, «un tiers du pays, surtout dans le sud-est, ne bénéfice aujourd'hui d'aucune aide humanitaire. C'est la conséquence du régime de terreur qui y règne. Le premier des médicaments dont manque la population, c'est la sécurité.»
«Justement, insiste le Dr Cheysson, c'est tout l'honneur des médecins français de défier la terreur que veulent instaurer les talibans. C'est par la santé, la culture et l'éducation que nous vaincrons les extrémistes.» C'est pour soutenir ce combat que la Chaîne lance un nouvel appel à la communauté médicale française et internationale. Des anesthésistes et des chirurgiens sont en particulier instamment recherchés pour des missions de courte, moyenne et longue durée.
La Chaîne de l'Espoir : 01.44.12.66..66.
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