Livres
Ce livre a deux histoires ; l'une, terrible, l'autre, plutôt satisfaisante.
La première concerne l'origine du roman, le premier roman d'une femme de quarante ans qui écrit des poèmes depuis l'âge de dix ans, qui est mariée à un écrivain et qui a été violée dans un souterrain par un inconnu alors qu'elle avait dix-neuf ans. Alice Sebold avait raconté ce drame survenu alors qu'elle était étudiante en littérature dans une autobiographie publiée aux Etats-Unis en 1999. Elle avait porté plainte, l'agresseur avait été retrouvé et on lui avait alors signifié qu'elle avait eu de la chance - le titre de l'ouvrage est « You're Lucky » -, car une autre victime avait été assassinée dans ce même souterrain.
La seconde histoire est celle du succès exceptionnel de ce roman intitulé « The Lovely Bones », traduit dans près de trente-cinq pays et, en France, sous le titre de « la Nostalgie de l'ange ». Jugé trop noir, le manuscrit en avait été refusé par Scribner, l'éditeur de l'autobiographie, alors que Littel Brown, persuadé de tenir un chef-d'uvre, n'a pas hésité à « investir » 100 000 dollars de publicité lors de son lancement. Il avait raison, puisque l'ouvrage a été acclamé par la critique et plébiscité par le public : il s'en est vendu plus de trois millions d'exemplaires en 2002 et il a été qualifié de « livre de la décennie ».
« Parce que j'ai été violée, je sais que je peux écrire une scène violente avec authenticité, et comme il s'agit d'une agression de nature sexuelle, cela attire l'attention », analyse froidement Alice Sebold. Mais cela ne suffit pas à expliquer le succès du roman qui tient peut-être moins à son sujet - la scène du viol et du meurtre étant même très édulcorée - qu'à son traitement ; car tout, ici, est narré par la petite fille.
Dès les premières pages de ce triste conte des temps modernes, où l'enfant, depuis le paradis, observe avec tendresse et ironie ceux qui restent et se déchirent autour de sa mort, on est emporté dans un maelström de sentiments, et déchiré entre la tristesse infinie et l'espoir ténu en la vie - quand on n'est pas emporté par un trait d'humour.
Qu'elle observe son meurtrier, un voisin insoupçonnable, ou le policier chargé de l'enquête et débordé, sa mère qui fuit au loin ou son père anéanti, sa sur chérie qui découvre, elle, l'amour ou l'adolescent avec qui elle n'a eu le temps d'échanger qu'un baiser, Alice Sebold trouve le ton juste. Le fantôme de la jeune fille - qui nous raconte aussi son idée du paradis - a beau être privé de chair, vit à travers les autres ce qui lui est interdit - le chagrin, la rage, la passion, le désir et le plaisir, et, enfin, l'amour absolu.
De l'écriture comme art de transcender l'horreur.
Nil Editions, 352 p., 16,80 euros.
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