APRES deux ans de réflexion, le Ccne vient de rendre son avis (n° 82) sur « l'allotransplantation de tissu composite au niveau de la face ». « Nous n'avons pas pris l'expression de greffe du visage dans le titre de l'avis : nous avons voulu ramener la discussion à un terrain plus modeste et plus simple », a précisé Denys Pellerin, l'un des responsables du groupe de travail du Ccne avec Monique Canto-Sperber. Devant l'enthousiasme médiatique provoqué par la vision d'une greffe de visage, les Sages ont été « conduits à (se) taire », ajoute Denys Pellerin. Pourtant, il a bien fallu répondre à la question du Dr Lantieri (hôpital Henri-Mondor, Créteil) concernant une « allotransplantation composite vascularisée au niveau de la face » (« le Quotidien » du 19 février). En l'occurrence, le Dr Lantieri a fait état d'un malade dont le visage, dans sa partie inférieure, a été arraché à la suite d'un suicide manqué.
L'ATC est une pratique chirurgicale récente, rappelle le Ccne, qui remonte à septembre 1998 lorsque l'équipe dirigée à Lyon par le Pr Dubernard (qui n'avait d'ailleurs pas sollicité l'avis du comité) a greffé sur un homme d'une quarantaine d'années un avant-bras. La possibilité technique d'une ATC de la face « n'est pas une illusion », souligne Denys Pellerin. En pratique, elle concernerait toutefois très peu de personnes. L'indication d'une ATC pourrait théoriquement concerner les traumatismes balistiques (en pratique de guerre ou civile, dans le cas de suicide, par exemple), les cancers de la face (bien que l'espérance de vie du patient limite l'indication), les grandes brûlures et certaines malformations congénitales de la face.
Au cœur de la responsabilité médicale.
« Il faut garder la tête froide : nous touchons au cœur même de la responsabilité médicale », estime Monique Canto-Sperber. Faut-il qu'une situation dramatique mais non vitale devienne, par la nécessité d'un traitement immunosuppresseur à vie, un risque vital ? La position du Ccne peut paraître surprenante : si la réponse est négative pour une ATC du visage entier, les Sages se montrent peu réservés en ce qui concerne les greffes partielles « reconstituant le triangle bouche-nez », qui entraînent pourtant les mêmes exigences d'immunosuppression. C'est que les questions éthiques relatives au visage humain sont différentes. « Le visage a un caractère unique, insiste Monique Canto-Sperber. Il n'y a pas de visage passe-partout. Il s'agit toujours du visage de quelqu'un. Le visage ne peut pas être considéré comme un foie ou un cœur. » Expression de la personnalité, fondement du rapport à autrui et du rapport à soi, le visage est bien plus qu'un organe ou même qu'un membre.
Qu'en est-il, en outre, du bien-fondé des espoirs de reconstruction que peut envisager le blessé, s'interrogent les Sages. « Pour ce qui a trait aux perspectives de succès de la greffe, on ne dispose d'aucun recul permettant de donner la moindre assurance aux malades, relève le comité. Les estimations qui ont pu être faites de la réussite de telles opérations concluent à la persistance d'un taux assez élevé d'échecs. Il ne faut pas non plus exclure l'éventualité d'un échec différé dans le temps après un apparent succès immédiat de la greffe. » Pour le Comité, la demande d'une allotransplantation de la totalité de la face correspondrait moins à une volonté des patients qu'à une « demande des chirurgiens soucieux de mettre au point cette technique ».
Enfin, dernier obstacle de taille : où trouver les donneurs ? « Le dépeçage d'un corps est déjà vécu comme une violence acceptée au nom du sauvetage des autres. L'ablation d'un visage pour seulement redonner espoir à un visage détruit a peu de chances d'être acceptée comme telle », soulignent les Sages.
Quant à la possibilité d'ATC partielles, le Ccne recommande que de telles opérations soient envisagées « dans le cadre d'un protocole précis multidisciplinaire et multicentrique, soumis pour accord à l'Etablissement français des greffes ou à d'autres instances ayant les mêmes attributions ».
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