Toutes les femmes
La consultation préconceptionnelle devrait être proposée à toutes les femmes.
En effet, trop souvent, lors de la première consultation obstétricale, d’une part, l’organogenèse foetale est déjà largement avancée, voire terminée, d’autre part, au cours des premières semaines de la grossesse, la patiente peut avoir été inutilement exposée à des facteurs tératogènes dans son activité professionnelle (irradiation, solvants industriels) ; parfois, elle a poursuivi un traitement potentiellement dangereux ou a eu recours à une automédication inadaptée ; elle peut persévérer dans des conduites addictives néfastes. La plupart du temps, elle ne peut pas fournir les résultats des sérologies infectieuses précédant l’état de grossesse, ce qui rend difficile l’interprétation des valeurs douteuses et conduit à la pratique inutile d’actes invasifs de diagnostic prénatal.
Enfin, et surtout, en l’absence de conseil préconceptionnel, les femmes ne peuvent pas bénéficier d’une prévention des malformations foetales par l’acide folique.
Les circonstances idéales du conseil préconceptionnel sont, bien sûr, l’examen prénuptial, mais aussi la prise en charge active d’une infertilité, l’arrêt envisagé d’une contraception par pilule ou l’ablation d’un stérilet. En réalité, une orientation préconceptionnelle devrait être envisagée chez toutes nos patientes lors d’un banal examen gynécologique systématique en posant ces simples questions : «Quand envisagez-vous d’avoir une première grossesse? Combien d’enfants pensez-vous avoir?» Cela permettrait d’établir avec elles une véritable programmation des conceptions, de discuter de leur espacement, de donner une information sur le rôle néfaste de certains facteurs généraux et d’envisager quelques situations particulières :
•L’âge maternel. Dans notre pays, l’âge maternel moyen lors des grossesses est passé en trente ans de 22 à 29 ans. En discordance avec la récente promotion des grossesses après 35 ans, les données épidémiologiques montrent qu’il faut encourager les gestations avant 30 ans et, en tout cas, avant 35 ans, compte tenu des risques accrus de trisomie 21, de fausse couche, de prééclampsie, de retard de croissance intra-utérin (Rciu), de diabète gestationnel, de morbidité et de mortalité maternelles. En plus des lésions fibromateuses éventuelles et des altérations de l’endomètre, Naeye (3) a montré au cours de 62 autopsies de jeunes femmes décédées de cause accidentelle que les lésions d’athérome des artères utérines concernaient 37 % des femmes entre 20 et 29 ans, 61 % entre 30 et 39 ans et 83 % après 39 ans.
•Le poids maternel. La fréquence des obésités définies par un indice de masse corporelle (IMC ou BMI) supérieur à 30 augmente rapidement en France. Elles sont associées à la stérilité, aux avortements spontanés, à l’hypertension artérielle gravidique et aux morts foetales in utero, au diabète gestationnel et à la dystocie des épaules, aux interventions obstétricales, aux hémorragies de la délivrance et aux thromboses.
A l’inverse, la maigreur définie par un BMI inférieur à 18 se complique fréquemment de Rciu et de prématurité. Par conséquent, il faut encourager les futures gestantes à retrouver un BMI entre 19 et 25 avant toute grossesse.
•Les addictions. Le rôle néfaste du tabac pendant la grossesse est bien connu, mais la dernière enquête publiée en France montre que 37 % des femmes fument avant la grossesse et que seulement la moitié d’entre elles arrêtent au cours de celle-ci. Certes, l’arrêt du tabac est possible en cours de grossesse, mais il s’accompagne volontiers d’une prise de poids excessive. Près de 40 % des gestantes consomment de l’alcool au cours de la grossesse et 5 % ont un niveau d’intoxication élevé, alors que la prise en charge médicale devrait tendre vers un niveau 0, car une seule nuit d’ivresse avant le diagnostic de grossesse peut définitivement compromettre la santé de l’enfant.
De même, toute prise de drogue doit être interrompue : cannabis, ecstasy, amphétamines, opiacés. La cocaïne favorise les décollements prématurés du placenta.
Sérologies
Les sérologies infectieuses devraient être connues avant toute grossesse.
C’est un des volets de la consultation prénuptiale, avec la demande des sérologies de la syphilis, de la rubéole et de la toxoplasmose. La sérologie VIH est toujours facultative. En cas de sérologie toxoplasmique négative, les conseils classiques doivent être donnés avant la grossesse. Les recommandations alimentaires permettront également d’éviter une listériose. En cas de sérologie rubéolique négative, une vaccination s’impose avec une contraception effective de trois mois.
Acide folique
La prise périconceptionnelle généralisée d’acide folique permettrait de réduire la mortalité périnatale.
L’environnement de la grossesse doit être, dès le début, le plus favorable possible. Il faut, par conséquent, avant la conception, équilibrer très rigoureusement un diabète, reprendre un régime draconien chez une patiente phénylcétonurique, supprimer les médicaments tératogènes, éviter les contaminations parasitaires, bactériennes et virales, proscrire l’alcool, surveiller l’alimentation, en évitant le foie animal, trop riche en vitamine A, et certains poissons contaminés par le mercure, comme l’espadon ou le merlan, et commencer un mois avant la conception une supplémentation en acide folique à poursuivre pendant les deux à trois premiers mois de la gestation. Une prévention efficace des malformation foetales nécessite un taux de folates érythrocytaires de 400 ng/ml en début de grossesse. Dans l’étude SU.VI.MAX, le taux moyen n’est que de 256 ng/ml. Il faut, bien sûr, préconiser dès le début de la grossesse un régime alimentaire riche en légumes verts, mais les folates médicamenteux sont des monoglutamates mieux absorbés par le tube digestif que les polyglutamates naturels. La prise quotidienne de folates médicamenteux est efficace à partir de 200 à 400 µg/jour et l’AMM a été accordée pour la prévention des défauts de fermeture du tube neural (Dft) qui sont réduits de 72 %.
En fait, comme le montre le tableau ci-dessous, une préparation polyvitaminée contenant principalement 800 µg d’acide folique diminue de près de 50 % le taux global des malformations dans l’étude randomisée et contrôlée, réalisée par Czeizel en Hongrie, et elle se révèle également efficace sur d’autres anomalies que celles du tube neural, notamment au niveau cardiaque et rénal (1). Ces résultats ont été confirmés par des enquêtes cas-témoins menées aux Etats-Unis par Botto et coll. (2).
Ainsi, si toutes les gestantes françaises bénéficiaient d’une prévention périconceptionnelle par l’acide folique, la mortalité périnatale en relation avec les anomalies congénitales, qui est de l’ordre de 30 %, diminuerait ipso facto. La métaanalyse de Lumley et coll. (3) démontre que c’est bien l’acide folique qui est responsable de l’action bénéfique sur l’organogenèse et non pas les autres vitamines, qu’il vaut donc mieux éviter car, selon Shaw et coll. (4), le risque de polymalformations peut se trouver accru, peut-être à cause du maintien artificiel de la vitalité foetale par la vitamine E ou à cause du rôle tératogène de la vitamine A.
La dose d’acide folique périconceptionnel proposée est habituellement de 400 µg/jour. Elle doit être augmentée à 5 mg en cas d’antécédent personnel ou familial de Dftn, d’épilepsie traitée par l’acide valproïque et par la carbamazépine, de diabète préexistant ou d’obésité morbide, de maladie inflammatoire intestinale traitée par la sulfasalazine. Une dose de 10 mg/jour réduirait les récurrences de fentes labiopalatines. Malgré des recommandations ministérielles datant de plus de cinq ans, la prise périconceptionnelle d’acide folique reste très marginale en France. Malheureusement, le dernier plan de périnatalité ne fait aucune référence à la consultation préconceptionnelle. Cependant, celle-ci est très brièvement évoquée dans la brochure de la Haute Autorité de santé « Comment mieux informer les femmes enceintes ? ». Il est temps de franchir une étape supplémentaire en édictant des « conseils aux futures femmes enceintes » et en proposant à toutes les femmes l’équivalent d’une consultation prénuptiale améliorée, dont la finalité serait de favoriser les grossesses non compliquées suivies de la naissance d’enfants normaux.
Références
(1) AE Czeizel, Reduction of Urinary Tract and Cardiovascular Defects by Periconceptional Multivitamin Supplementation. « Am J Med Genet », 1996 ; 62 : 179-183.
(2) LD Botto, RS Oloney, JD Erickson. Vitamin Supplements and the Risk for Congenital Anomalies Other Than Neural Tube Defects. « Am J Med Genet C Semin Med Genet », 2004 ; 125 : 12-214.
(3) J Lumley, L Watson, M Watson, C Bowe. Periconceptional Supplementation With Folate and/or Multivitamins for Preventing Neural Tube Defects. Cochrane Database Syst Rev 2000 ; (2) : CD001056.
(4) GM Shaw, LA Croen, K Todoroff, MM Tolarova. Periconceptional Intake of Vitamin Supplements and the Risk of Multiple Congenital Anomalies. « Am J Med Genet », 2000 ; 93 : 188-193.
MALFORMATIONS | ETUDE RANDOMISEE DE CZEIZEL [1] RR [IC à 95%] | ETUDES CAS - TEMOINS RESUMEES PAR BOTTO [2] OR [IC à 95%] |
Taux global | 0,53 [0,35-0,70] | 0,80 [0,69-0,93] |
Fentes labio-palatines | 0,77 [0,22-2,69] | 0,61 [0,43-0,87] |
Cardiopathies | 0,42 [0,19-0,98] | 0,76 [0,60-0,97] |
anomalies cono-troncales | 0,48 [0,04-5,34] | 0,46 [0,24-0,86] |
défauts ventriculaires septaux | 0,24 [0,05-1,14] | 0,61 [0,38-0,99] |
Malformations des membres | 0,19 [0,03-1,18] | 0,47 [0,23-0,97] |
Imperforation anale | | 0,50 [0,29-0,88] |
Malformations urinaires | 0,21 [0,05-0,99] | 0,17 [0,06-0,48] |
Omphalocèles | | 0,40 [0,20 -1,0] |
Polymalformations | | 0,97 [0,81-1,16] |
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