L E jugement de la Cour de cassation devrait faire date dans les annales judiciaires et éthiques. Christine Boutin, toujours prompte à réagir, ne s'y est pas trompée, et son mouvement, l'Alliance pour les droits de la vie, a immédiatement exprimé « surprise et tristesse », en ajoutant que « notre société ne pourra faire l'économie d'un langage de vérité face à l'idéologie qui refuse le statut d'être humain à celui qui n'est pas encore né ».
Au centre de l'affaire, un ftus de 6 mois : sa mère, victime en 1995 d'un accident de voiture causé par un conducteur ivre, avait, quatre jours plus tard, accouché prématurément, et le ftus était mort immédiatement, les lésions cérébrales entraînées par l'accident l'ayant empêché de respirer. En septembre 1998, la cour d'appel de Metz avait relaxé l'auteur de l'accident du délit d'homicide involontaire, en expliquant que l'enfant était « mort-né » et que « l'enfant mort-né n'est pas protégé pénalement au titre des infractions concernant les personnes ». Et la cour précisait : « Pour qu'il y ait "personne", il faut qu'il y ait un être vivant, c'est-à-dire venu au monde et non encore décédé », un enfant « dont le cur battait à la naissance et qui a respiré ».
Une « interprétation stricte »
Saisie par la mère du ftus, Sylvie Grosmangin, la Cour de cassation ne s'est pas embarrassée de considérations sur la notion de « personne » et n'a pas donné de définition de l'instant du commencement de la vie . Elle invoque seulement le principe selon lequel la loi pénale ne peut pas être interprétée largement, ni par analogie, pour résoudre des questions qu'elle n'a pas expressément prévues : « L'interprétation stricte de la loi pénale s'oppose à ce que l'incrimination (...) réprimant l'homicide involontaire d'autrui soit étendue au cas de l'enfant à naître », estime-t-elle.
Ce faisant, elle ne tient pas compte, ce qui est plutôt rare, des conclusions de son avocat général : invoquant l'éthique, Jerry Sainte-Rose avait soutenu que l'enfant devait être juridiquement protégé dès sa conception et refusé de s'associer au message selon lequel « la mort d'un enfant à naître serait un non-événement ».
C'est pourtant bien une telle traduction juridique que pourrait trouver le jugement de la Cour de cassation, présidée par Guy Canivet et exceptionnellement réunie en assemblée plénière. « Il est possible que la Cour ait considéré que la notion de viabilité n'était pas suffisamment précise pour asseoir une condamnation pénale, suggère l'avocat de Mme Grosmangin, Me Bruno de La Varde, pour qui il en résulte qu'il ne peut y avoir aucune poursuite pour un crime ou un délit commis sur un enfant tant que celui-ci n'a pas vu le jour, estime. « Ils ont dit qu'un ftus n'était rien et qu'on pouvait le tuer comme on voulait », traduit pour l'AFP un magistrat qui a requis l'anonymat.
Si l'enfant à naître ne peut juridiquement être victime d'homicide, peut-il alors avoir le droit de ne pas naître, comme le récent arrêt Perruche - auquel Jerry Sainte-Rose s'était d'ailleurs opposé - le laisse supposer ? La Cour de cassation est à nouveau appelée à se prononcer à ce sujet cette semaine, puisque trois affaires analogues à celle de Nicolas Perruche (né très handicapé et dont la mère aurait demandé une IVG si les malformations avaient été détectées lors de l'échographie) doivent être examinées le 6 juillet.
Le droit pénal peut-il nier l'enfant à naître quand le droit civil reconnaît son existence, voire son droit à ne pas naître ? Faut-il protéger l'enfant dès la naissance ou dès la conception ? La justice, l'éthique, la religion ont des réponses différentes et même chacune plusieurs réponses contradictoires. Comme pour la procréation médicalement assistée, il faut sans doute se résigner à des limites sans cesse redéfinies et toujours plus ou moins dépassables.
Le Pr Mattei : le droit doit évoluer
Tout en se refusant à commenter une décision qui « résulte d'une interprétation stricte du droit pénal », même si elle « illustre le caractère froid et dépourvu d'humanité de certaines logiques juridiques », le Pr Mattei tient à faire quelques remarques en relation avec son expérience médicale.
« D'après le droit, dit-il dans un communiqué, il ne se serait rien passé et l'enfant n'aurait pas existé. A quoi correspondent donc les images échographiques d'un enfant formé dont la mère conserve la photo (...) ?A qui s'adressent les soins de la médecine ftale qui, au-delà de toute considération juridique, philosophique ou religieuse, considère bien le ftus comme un patient et donc comme un être vivant ? ». Pour le spécialiste de médecine génétique, il faut « faire évoluer le droit au rythme de la m », sachant que « le seuil de viabilité ftale est désormais bien inférieur aux 180 jours aujourd'hui retenus ».
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