LA CONVENTION médicale est-elle menacée par la réglementation européenne ?
Sans qu'il soit possible aujourd'hui de répondre à cette question, il est certain que le décret sur la prise en charge par la Sécurité sociale des soins reçus hors de France, publié au « Journal officiel » du 27 avril en application des obligations communautaires (« le Quotidien » du 4 mai), a ouvert une polémique. Et sans doute une bataille juridique, à l'issue incertaine.
Que dit ce texte, qui modifie le code de la Sécu ? Il prévoit que les « caisses d'assurance-maladie procèdent au remboursement des soins dispensés aux assurés et à leurs ayants droit dans un Etat membre de l'Union européenne ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen, dans les mêmes conditions que si les soins avaient été reçus en France (...) ». Autrement dit, sur les bases de remboursement Sécu et non pas, comme auparavant, en appliquant le très dissuasif tarif d'autorité (montant dérisoire remboursé au patient lorsque le médecin n'est pas conventionné).
Cette harmonisation s'applique aux dépenses de médecine de ville. Il est en effet précisé que, pour le remboursement des soins hospitaliers programmés ou exigeant le recours aux équipements matériels lourds (scanner, IRM) dans un Etat membre de l'Union, le remboursement des frais par les caisses exige toujours une « autorisation préalable ».
Arrêt de mort.
Pour le très libéral Claude Reichman, président du Mouvement pour la liberté de la protection sociale (Mlps), opposant acharné au monopole de la Sécu depuis des années, cette « avancée décisive » signe carrément l'arrêt de mort des conventions médicales. Selon son raisonnement, le principe d'interdiction de toute discrimination à l'intérieur de l'Union européenne (on peut être soigné par un médecin en Europe et pris en charge par la Sécu sans pénalisation) s'applique partout, quel que soit le praticien choisi. Donc en France. « C'est la fin des conventions médicales fondées sur des tarifs obligatoires et des remboursements discriminatoires des patients », affirme Claude Reichman. En particulier, le fameux tarif d'autorité particulièrement dissuasif pour le médecin qui se place hors convention comme pour le patient qui le consulte serait condamné dans la mesure où il consacre une différence (quasi rédhibitoire en l'occurrence) de traitement selon la situation conventionnelle du praticien. Le Mlps a également déposé auprès de la Commission une plainte contre la convention médicale qui repose, juge-t-il, sur « une entente tarifaire illégale » entre les médecins et les caisses.
La France en retard.
Le problème de la délicate application par la France du droit européen en matière de Sécurité sociale n'est pas nouveau. En 1998, par ses fameux arrêts Kohll et Decker, la Cour de justice indiquait que les prescriptions d'un médecin d'un Etat membre (en l'occurrence un traitement d'orthodontie et l'achat de lunettes) pouvaient être exécutées dans n'importe quel autre Etat membre sans autorisation préalable de l'organisme de Sécurité sociale dont dépendait l'assuré (principe de libre circulation). La Cour de justice précisait surtout que, dans ce cas, les prestations devaient être remboursées au tarif de l'Etat d'affiliation de l'assuré et non pas à celui du pays où les prescriptions sont exécutées. Des arrêts que le gouvernement français s'est empressé... de ne pas appliquer.
Dans son rapport de septembre 2000, la Cour des comptes expliquait cette prudence par « la crainte des conséquences économiques que pourraient avoir des mouvements éventuels des ressortissants des Etats membres entre systèmes de santé de l'Union, et par la volonté de garder au niveau national la maîtrise de l'organisation des soins et de l'évolution des dépenses de santé ». Depuis, de lettres de mise en demeure en procédure d'avis motivé, la Commission a mis la pression sur l'Etat français, jusqu'à la sortie du décret d'avril.
Au ministère de la Santé, on explique que le décret en question vise en priorité à simplifier la vie de quelques centaines de citoyens français notamment proches de la Belgique, de l'Allemagne, voire de l'Espagne, qui pourront être remboursés correctement tout en étant soignés à l'étranger (sans compter que les travailleurs frontaliers bénéficient déjà d'un tel système). « C'est marginal, cela va concerner au maximum de 500 à 1 000 personnes par an », affirme-t-on dans l'entourage de Xavier Bertrand. Le secrétaire d'Etat à l'Assurance-maladie a même annoncé que les frontaliers pourraient choisir un praticien de l'Union européenne comme médecin traitant. Mais il faudra alors prévoir un « cahier des charges » sur la tenue du dossier médical et la coordination, qui n'existe pas encore aujourd'hui.
En revanche, on estime au ministère que le décret du 19 avril « n'a rien à voir avec la convention médicale » et qu'il n'y a pas lieu de polémiquer. « Le tarif d'autorité est la conséquence d'un choix volontaire du médecin qui décide d'exercer hors convention, explique-t-on. Cela n'a rien à voir avec la situation de fait d'un médecin qui n'est pas sur le territoire français. »
Convaincu de son côté de la justesse de ses arguments, Claude Reichman annonce « une masse de procès » intentés aussi bien par des patients que par des médecins qui s'estimeraient victimes du « préjudice » de la convention médicale.
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