Comment avez-vous réagi au livre de John Le Carré ?
Dr YVES JUILLET
C'est un roman et, comme dans tout roman, l'auteur a développé un certain nombre de thèses pour écrire son histoire. Il y a des choses à prendre et des choses à laisser. Ce qui me dérange, c'est la généralisation que l'on fait des thèses développées dans ce roman.
En fait, John Le Carré reprend dans son livre toutes les accusations des militants (hostiles à l'industrie pharmaceutique) qui sont formulées régulièrement depuis plusieurs années et qui ont été reprises, de manière plus marquée, au moment du procès de Pretoria (1). Nous connaissons ces allégations et nous pouvons y répondre.
C'est incohérent à double titre. Quand nous développons des médicaments, nous devons constituer des dossiers extrêmement complets qui doivent être visés par les autorités de santé locales, lesquelles donnent les autorisations de mise sur le marché. Pour que les études soient acceptées par les autorités, elles doivent être réalisées en respectant les règles de bonnes pratiques cliniques.
Par ailleurs, l'industrie du médicament a plus intérêt à faire les essais chez des volontaires sains, dans les pays développés qui ont des infrastructures médicales adaptées, que dans des pays pauvres où ils sont beaucoup moins aisés à réaliser. Il y a le cas particulier des maladies tropicales pour lesquelles il peut être justifié de faire des essais là où elles sévissent, malheureusement dans des pays pauvres, mais là aussi ce n'est pas aisé et là aussi le respect de l'éthique doit être total.
Rien n'est, hélas, inconcevable. Dans toute communauté humaine, il y a les moutons noirs qui ne respectent pas les règles ni l'éthique. Mais c'est l'exception. C'est d'autant plus intolérable que notre mission s'applique à un produit différent des autres car il touche à la vie de chacun. Nous devons être, et nous le sommes, croyez-le, encore plus responsables.
Il faut d'abord rappeler que, dans les pays pauvres, et notamment en Afrique, les gens meurent de maladies dont on ne meurt plus dans nos pays développés. Beaucoup plus que du SIDA, les Africains meurent de pathologies banales : de pneumonies, de rougeoles ou de diarrhées. 80 % des produits qui sont sur la liste des médicaments essentiels établie par l'OMS ne sont plus protégés par des brevets, ce sont des produits génériques pour lesquels le problème du prix ne se pose pas. Or les populations continuent à mourir de ces pathologies. Pourquoi ? Parce que, si le problème du prix est important, il n'est pas le seul. Il faut que les gens puissent aussi accéder physiquement au médicament : quand quelqu'un habite à plus de cinq kilomètres d'un lieu où on peut lui délivrer un médicament, il ne se déplace pas. Il y a aussi des infrastructures médicales qui font défaut, des médicaments qui n'arrivent pas, des personnels médicaux mal formés. C'est pour toutes ces raisons que dans le cas du SIDA, les laboratoires concernés essaient de travailler en accord avec les autorités locales pour mettre en place des structures qui permettent de mettre réellement à la disposition des patients les médicaments en question.
Un paradoxe structurel
Mais on a l'impression que les laboratoires qui ont accepté de baisser les prix des antirétroviraux en Afrique l'ont fait très tardivement.
Le programme Acces, qui a été mis en place avec ONUSIDA et l'OMS, date d'un an avant le procès de Pretoria. La réponse des laboratoires a, certes, été progressive, mais elle s'est faite aussi en fonction de l'attitude des Etats. Il faut rappeler que, bien que des accords aient été passés avec l'Afrique du Sud, ce pays n'achète toujours pas d'antirétroviraux, y compris aux génériqueurs. C'est cela la réalité des faits. Pourquoi ? Peut-être parce qu'ils ne le souhaitent pas ou qu'ils ont une politique de santé différente.
Il faut aussi rappeler qu'après Pretoria, des discussions se sont engagées entre l'industrie et les autorités pour voir dans quelle mesure des licences obligatoires pourraient être accordées. Ces discussions sont toujours en cours.
D'abord, je ne suis pas sûr que l'on a aussi mauvaise réputation que ce que l'on prétend. Il est vrai que les médias donnent une image très négative de l'industrie ; mais quand on fait des enquêtes, on voit que cette image demeure malgré tout encore positive dans l'opinion. Nous avons néanmoins un problème d'image qui a tendance à s'aggraver. Pourquoi ? C'est le résultat du paradoxe structurel de notre métier, quel que soit le pays. Notre mission est de traiter des patients, mais c'est aussi une activité industrielle avec tous les caractéristiques qui vont avec : nous avons des actionnaires, nous devons faire des profits et être rentables, pour pouvoir, entre autres, réinjecter les bénéfices dans la recherche et le développement. En outre, des maladresses de communication ont aggravé la situation. Nous devons davantage participer à la vie de la cité, être plus proches de nos concitoyens. Mais c'est difficile, car notre communication est très réglementée. Nous devons revendiquer les progrès extraordinaires réalisés dans le domaine de la santé, depuis des décennies, grâce au médicament.
(1) Procès intenté par des laboratoires contre l'Etat sud-africain.
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