La plupart des professionnels de santé sont en ébullition. Après les médecins et les infirmières, les dentistes et les kinés ont rejoint le mouvement de mécontentement. Comment expliquez-vous le malaise actuel ?
Dr JACQUES REIGNAULT
Dans un mouvement de ce type, on ne sait jamais pourquoi tout d'un coup cela prend et avec une telle ampleur. Ce qui est certain, c'est que la plupart des professions de santé sous convention avec l'assurance-maladie ont des revendications de nomenclature ou d'honoraires qui n'ont pas été revus depuis des années, voire des décennies, comme c'est le cas pour les dentistes. Une vie conventionnelle qui ne permet pas, chaque année, de revoir les conditions tarifaires d'exercice n'est pas satisfaisante. Il ne faut pas s'étonner après ça que la situation soit explosive et que l'ensemble des professions se reconnaisse aujourd'hui dans le mouvement engagé par les médecins.
On sait que, chaque fois qu'il y a une élection, le gouvernement a tendance à ouvrir les vannes. La politique de rustine qu'il conduit depuis quelques mois auprès des différentes corporations - policiers, gendarmes, etc. - y a sans doute contribué. Que le « Et moi et moi ? » soit de mise n'est pas étonnant. Mais je pense sincèrement que le mouvement n'aurait pas eu cette ampleur s'il n'y avait pas des revendications non satisfaites depuis plusieurs années.
Il y a eu dans cette affaire une occasion manquée. Après le premier « Grenelle de la santé », la ministre aurait dû mettre toutes les professions autour d'une table pour discuter des problèmes concrets et ne pas mettre en place une énième mission de réflexion. Vouloir engager une réforme de fond des soins de ville alors que la première attente des professionnels portait sur leurs honoraires a été une erreur. Il est normal que la réponse du gouvernement soit apparue aux professionnels comme un peu ésotérique et perçue comme une volonté de gagner du temps et d'enterrer le dossier. On perd beaucoup trop de temps à discuter de dispositions techniques, comme l'aide à l'installation, qui sont importantes, mais ne correspondent pas à la revendication prioritaire des professionnels. C'est dans l'appréciation du malaise que le gouvernement s'est trompé. Il doit faire l'économie de grandes réformes structurelles et tenter avant tout d'apurer le passif avec les professionnels.
On ne nous l'a pas demandé pour l'instant et nous n'avons pas été consultés sur son organisation. Le CNPS ne peut que se contenter pour l'instant d'exprimer sa solidarité avec les revendications de tous les professionnels de santé et, en particulier, des médecins. Il appartiendra ensuite à chaque organisation qui adhère au CNPS de décider si elle veut s'associer ou non à la manifestation. La règle du CNPS est de ne pas s'immiscer dans les conflits catégoriels. Or, dans ce cas, il y a deux organisations de médecins qui ont adopté des positions différentes. L'une juge l'accord passé avec la CNAM satisfaisant, l'autre le rejette. Ce n'est pas à nous de trancher et de juger si cet accord est bon ou pas.
Quelle issue envisagez-vous à ce conflit ?
Il est très difficile de faire de la futurologie dans ce domaine. Tout est possible : que les médecins se satisfassent des augmentations proposées, comme le contraire. En tout cas, je ne vois pas une sortie de crise simple. D'autant qu'il va y avoir des élections, puis un changement de gouvernement. L'objectif que s'est fixé le CNPS, c'est que l'ensemble des conventions des professionnels de santé qui arrivent à échéance puisse être renégocié dans des conditions correctes avant la fin de l'année.
Mais est-ce que tous les préalables à ces négociations seront levés d'ici là ? C'est la question. Nous travaillons néanmoins à un accord-cadre (avec les caisses maladie) et à obtenir un nouveau mode de relations conventionnelles qui permette de rétablir la confiance entre les partenaires. Les professionnels en ont assez du petit jeu joué entre les caisses et le gouvernement qui, ces dernières années, se sont systématiquement renvoyé la balle. Ce jeu a d'ailleurs fini par se retourner contre eux.
Pas d'ONDAM opposable
Comment envisagez-vous le futur socle conventionnel commun à toutes les professions de santé libérales (1) et où en sont vos travaux de réflexion et vos contacts avec l'assurance-maladie ?
Nous avons mis en place des groupes de travail et nous allons rencontrer le président de la CNAM, Jean-Marie Spaeth, le 5 février, pour établir un premier contact et confronter nos points de vue. C'est un chantier important qui prend du temps et pour lequel on n'avance pas, pour l'instant, de façon très rapide, en raison des circonstances. Nous espérons, en étant optimistes, avoir des propositions concrètes à négocier d'ici à avril.
:Quelles en sont les grandes lignes ?
Nous voulons d'abord revoir les règles du partenariat conventionnel dans le respect de l'indépendance des professionnels. En outre, nous n'accepterons qu'une maîtrise basée sur l'optimisation des dépenses. Nous sommes pour un système d'évaluation des pratiques professionnelles et de respect des référentiels médicaux qui puisse permettre de s'assurer que chaque franc est bien dépensé. Nous n'irons pas au-delà de cet engagement. Ensuite, il est de la responsabilité des pouvoirs publics de définir les sommes qu'il entend consacrer à la santé et de faire des choix en ce qui concerne les remboursements par l'assurance-maladie. Nous n'accepterons plus qu'un objectif d'évolution des dépenses soit opposable aux professionnels. Les systèmes de reversements d'honoraires ou de lettres clés flottantes ont vécu. Enfin, nous sommes tout à fait prêts à discuter de l'amélioration de la qualité de l'offre de soins, notamment par le biais de la coordination. Tous ces principes sont chez nous consensuels. Il faut maintenant voir ce que l'on met derrière et comment cela peut s'articuler avec les conventions catégorielles.
C'est le chef de l'Etat qui interviendra le 14 février et pas encore le candidat à l'élection présidentielle. Nous attendons des réponses à nos interrogations, voire des engagements, qu'on nous propose un dispositif de remise à niveau de nos honoraires. Nous ne voulons plus entendre parler de réforme globale à mettre en chantier. On a déjà donné. Essayons déjà de faire fonctionner ce qui existe. On attend donc un langage de franchise et plus seulement des promesses. Les professionnels de santé veulent retrouver la confiance avec une visibilité pour l'avenir.
(1) La proposition de loi discutée actuellement par le Parlement prévoit en effet l'élaboration d'un accord-cadre négocié par le CNPS et l'assurance-maladie, et ensuite des accords conventionnels négociés profession par profession.
22 organisations représentatives
Le Centre national des professions de santé (CNPS) regroupe 22 organisations représentatives, syndicats professionnels et fédération patronale des établissements privés. Quasiment toutes les professions y sont représentées : dentistes, médecins, kinés, audioprothésistes, infirmiers, orthophonistes, podologues, pharmaciens, sages-femmes, biologistes, orthoptistes et vétérinaires. Le Syndicat national de l'industrie pharmaceutique (SNIP) y adhère également comme membre associé. Les syndicats de médecins libéraux y sont représentés à travers quatre organisations : la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), MG-France, la Fédération des médecins de France (FMF) et le Syndicat des médecins libéraux (SML).
Le CNPS réunira ses 23es Assises nationales le 14 février au palais des Congrès, à Paris, en présence du président de la République, Jacques Chirac.
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