LE QUOTIDIEN - Vous êtes reçue demain à l'Elysée. Si vous n'aviez qu'une remarque à faire à Jacques Chirac sur la situation de l'hôpital, que lui diriez-vous ?
Dr RACHEL BOCHER - Même si je ne suis pas dupe, même si je sais que les préoccupations électorales sont là, je note d'abord que nous avons aujourd'hui une occasion unique de parler de l'hôpital au président de la République. Je me réjouis aussi de ce que ce rendez-vous montre que le chef de l'Etat se préoccupe des problèmes de santé. Alors, si je n'avais qu'une chose à lui dire, je l'alerterais sur l'état des hôpitaux, et notamment sur les problèmes de démographie médicale. Je lui rappellerais cette phrase de Jean Choussat : « Il n'y a de choix démographique sans choix d'organisation du système de santé, et inversement. »
Une institution victime de son succès
Avez-vous des solutions à lui soumettre ?
Je sais bien qu'il n'y a pas de recette miracle. Mais il faut faire un état des lieux et essayer de dégager des pistes pour l'avenir. Résoudre ce problème passe, avant de faire évoluer les structures, par un changement des mentalités, une modification des pratiques. Il faut adapter la formation initiale et la formation continue en instaurant des flux correspondant aux besoins de la population. C'est-à-dire augmenter le numerus clausus jusqu'à 6 000 et réformer les études médicales en ayant pour objectif la revalorisation de la médecine en général. Il faut ensuite rendre l'hôpital public plus accessible aux usagers. L'institution est victime de son succès : 61 % des pathologies (parmi les plus lourdes, les plus urgentes) y sont traitées par 21 % du corps médical. Le ratio est rude ! Il prouve qu'il est nécessaire de rendre l'hôpital plus attractif.
Avez-vous des propositions qui pourraient prendre effet immédiatement ?
Attelons-nous au problème du statut. Je demande un seul statut pour les praticiens hospitaliers (PH) temps plein et les temps partiels, un statut souple, qui permette de passer facilement d'une formule à l'autre. Cette refonte serait aussi un moyen de réaménager l'ordonnance de 1958 : les PU-PH (professeurs des universités-praticiens hospitaliers) deviendraient des praticiens hospitaliers à temps partiel. Suivant leurs besoins, leurs compétences... ils pourraient, tout comme les autres PH, contractualiser leurs fonctions de recherche, d'enseignement, de chefferie de service pour des durées fixées au cas par cas et rémunérées à part. Ce système permettrait d'homogénéiser le corps des praticiens hospitaliers et de revaloriser intellectuellement la carrière.
Voyez-vous d'autres moyens d'attirer le corps médical vers l'hôpital ?
La réorganisation de l'offre de soins public/privé, en travaillant au niveau d'un bassin de population et en procédant par niveaux de soins, est une piste. L'idée est de réfléchir, en termes de ressources humaines, à la collaboration entre les deux secteurs. Il faudrait aménager un système où la communauté médicale publique comme privée mènerait certaines actions de conserve. Le principe est de dissocier les « missions » de service publique des « acteurs » de service public. Certaines missions, aujourd'hui mal assurées, pourraient être un lieu de partage. Je pense aux urgences, au suivi de pathologies au long cours, à la prise en charge du diabète ou de la douleur... Dans ce cadre, pourquoi ne pas imaginer un rattachement automatique pour tous les nouveaux installés en libéral, qui consacreraient à l'hôpital autour de 20 % de leur temps ? Leurs prestations publiques seraient rémunérées au forfait. Ils seraient au bout du compte des « PH 20 % » dans le statut unique.
Auraient-ils besoin pour cela de passer le concours de PH et croyez-vous que ces médecins seraient prêts à faire cet effort ?
Il faut évidemment réfléchir aux conditions d'accès de ces médecins à l'hôpital (et je pense qu'il faudra effectivement qu'ils passent le concours de type I ou II), ainsi qu'à leurs modalités d'entrée dans la carrière de PH. En bref, il n'est pas question de faire venir des gens à l'hôpital pour qu'ils y assurent des vacations à 300 francs et des missions pas claires. Si l'on veut que le système soit tentant, il faut valoriser la responsabilité et la notion d'équipe, faire en sorte que le médecin se trouve pris dans une dynamique de santé publique. Quant aux efforts que cela représente, je répète que cette proposition ne concerne que les nouveaux installés et qu'elle ne vaudra que le temps que l'hôpital se renfloue de ses médecins, ce qui prendra dix ou quinze ans.
Restructurations : du pain sur la planche
Où en est la réorganisation du tissu hospitalier qui peut, parfois, être une réponse au manque, voire à l'inexistence de médecins ?
Les restructurations souffrent d'une certaine frilosité. La situation varie d'une région à une autre. Certaines avancent ; d'autres non, qu'elles soient paralysées par des mouvements sociaux ou déjà entrées en période - sensible - de campagne électorale. Globalement, on a commencé à restructurer, mais il reste du pain sur la planche. C'est en partie pour cette raison que j'accorde autant d'importance au dossier de l'aménagement et de la réduction du temps de travail (ARTT) . En passant aux 35 heures, la question de la réorganisation des gardes pourrait, par exemple, être résolue par une mutualisation des moyens de plusieurs établissements. Cela éviterait aux hôpitaux concernés d'être mis à feu et à sang.
La négociation sur le passage aux 35 heures des PH reprend demain. Est-ce un dossier qui vous inquiète ?
Je déplore tout d'abord la lenteur avec laquelle le gouvernement met en place les 35 heures à l'hôpital. Je rappelle que les premiers textes qui nous ont été soumis, à nous PH, relevaient davantage du brouillon que d'autre chose et que, sur le fond, ils ont quand même réussi à mettre tout le monde vent debout.
Je ne sais pas ce qui va nous être proposé demain ; j'entends dire qu'il manque de 10 à 20 milliards à Elisabeth Guigou pour venir à bout de ce dossier. Alors, oui, bien sûr, mes craintes persistent. Et je préviens d'ores et déjà que nous ne resterons pas inertes si le gouvernement s'en tient encore une fois à des généralités. Il nous faut des propositions claires et simples, qui fassent des PH des bénéficiaires de l'ARTT. Sinon, ce n'est pas la peine. Depuis le départ de Martine Aubry, il manque une ligne directrice aux discussions. Je suggère d'ailleurs que Lionel Jospin qui, lui, gouverne, s'inspire de ce que fait Jacques Chirac aujourd'hui et nous reçoive dans des conditions similaires.
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