LE QUOTIDIEN
Le principe de la revalorisation du C à 20 euros semble acquis, mais une certaine confusion entoure la question du calendrier et des modalités. Quelle est votre interprétation ?
Dr Pierre COSTES
Je ne veux pas que les médecins revivent en 2002 ce qui s'est passé en 1995, c'est-à-dire un immense malentendu. A l'époque (lors de la campagne présidentielle de Jacques Chirac, NDLR) les médecins ont entendu « demain, on rase gratis ». Une fois au pouvoir, la droite a assumé les responsabilités avec des propositions de maîtrise, qu'on a appelé maîtrise comptable, mais en tout cas une vraie réforme. De ce malentendu est né le divorce entre la réforme nécessaire et les professionnels, qui se sont sentis, à juste titre, floués et ont été dès lors complètement « étanches » à tout processus réformateur. Beaucoup d'entre eux se sont révoltés. Cinq ans après, le risque de revivre cela existe. Il ne faut donc pas créer de malentendu entre ce qui est dit et ce qu'on aimerait qu'il soit dit, entre ce qu'on a entendu ou ce qu'on croit avoir entendu. Jean-François Mattei nous a affirmé que les engagements du candidat Jacques Chirac seraient tenus, c'est tout. Ces engagements portent sur l'amélioration de la rémunération des professions de santé, et notamment des généralistes. Jacques Chirac a précisé que ces avancées, dont le C à 20 euros, vont de paire avec des contrats d'amélioration des pratiques, de bon usage des soins, bref un pacte de confiance.
Les médecins ne doivent surtout pas croire que, demain matin, la consultation sera à 20 euros et la visite à 30 euros et qu'on verra plus tard les conditions d'échange. Cela n'a jamais été dit ! Si on veut que les professionnels puissent participer à la réforme, chacun doit tenir un langage de vérité. Le gouvernement vient de nous demander de renouer le dialogue, de rénover la convention en intégrant des progrès de rémunération, dont le C à 20 euros, dans le cadre d'un contrat négocié. La réalité, c'est cela : l'évolution des modes de rémunération, les éléments de maîtrise qui sont présents et qui seront toujours présents dans les prochains mois, les éléments d'amélioration de la qualité. C'est cela que nous allons lancer, et ça se passera par voie conventionnelle. Sur ce point, les choses sont claires : face à nous, il y a l'assurance-maladie.
Aucun regret
En signant en janvier dernier un accord contesté fixant le C à 18,5 euros, MG-France ne s'est-il pas discrédité ?
Que veulent les professionnels ? Améliorer leurs conditions d'exercice, travailler moins, pouvoir être remplacés, avoir plus de sécurité et être respectés. Ils disent « C à 20 euros », mais ils disent aussi que cela ne règle pas tous leurs problèmes. Nous devons traduire cela dans une négociation. Avec ce que nous donnait le gouvernement en janvier, 350 millions d'euros pour la première année, on ne pouvait pas obtenir le C à 20 euros. On a fait le maximum et je n'ai aucun regret. Les médecins ont obtenu une revalorisation des tarifs de jour, de nuit, de garde... On avance pas à pas : après un accord, un deuxième.
Il y a deux voies d'action. D'une part, on se situe, avec tous les syndicats de professionnels de santé libéraux, dans le cadre de la loi qui a réformé le système conventionnel. Cette nouvelle architecture, c'est l'accord-cadre interprofessionnel et ce seront des conventions pour chaque métier à l'intérieur desquelles il y aura des contrats volontaires de bon usage des soins et de santé publique, à l'image de l'option médecin-référent.
Mais pendant ces travaux de moyen terme, il y a le quotidien, la convention généraliste actuelle. Les avancées de rémunération dont on parle en ce moment, elles doivent se concrétiser le plus tôt possible dans le cadre d'un avenant tarifaire à cette convention. Nous demandons donc aujourd'hui au gouvernement de dire quels sont les moyens nouveaux qu'il compte investir sur la médecine générale et à quelle échéance. Envisage-t-il une loi de financement rectificative ? Va-t-il augmenter la CSG ? Demande-t-il des redéploiements à enveloppe constante ? A-t-il l'intention d'agir sur la fiscalité ? Aujourd'hui, nous n'avons pas de réponse sur les moyens et le calendrier. Or, il ne suffit pas de dire « allez-y », de plaider pour le dialogue social, il faut que l'Etat nous donne les moyens de ce dialogue.
La fin du modèle taille unique
Seriez-vous prêt à négocier avec les spécialistes une convention médicale unique ?
Les spécialistes, et la CSMF en tête, viennent de signer avec l'assurance-maladie un engagement à négocier leur nouveau cadre d'exercice, sans préjuger de la forme qu'il prendra. C'est un acte fondateur. Je crois non seulement qu'il y aura toujours une convention spécifique pour les généralistes mais qu'il y aura plusieurs conventions pour les spécialistes. Il y aura une convention particulière (ou des volets catégoriels) pour la médecine clinique, pour la médecine lourde d'établissement, pour la médecine technique ambulatoire. La convention unique n'est plus adaptée à la diversité de l'exercice médical. Le modèle taille unique, c'est terminé.
La médecine est passée, en 25 ans, du sacerdoce à un métier. Hier, le médecin était une sorte de « grand prêtre », avec beaucoup de droits et peu de comptes à rendre. La modernité a changé la donne. Certains continuent de fantasmer. Des tentations existent de remettre tout à plat, de fuir la contrainte. Parmi les généralistes qui transgressent les tarifs, il y a des médecins qui veulent peser sur les négociations. Mais il y a aussi ceux qui transgressent parce qu'ils réclament la liberté tarifaire totale, le secteur II généralisé. La conséquence, c'est la rupture du contrat conventionnel et un comportement « marchand » de certains généralistes qui commence à être vécu comme tel par les patients.
Il ne faudrait pas jeter le bébé avec l'eau du bain et mettre en place dans le secteur médical le courant radical qu'on a vu hier dans le monde artisanal, représenté notamment par Poujade. En croyant défendre la profession, certains conduisent leurs collègues dans des voies sans issue. C'est le risque du déconventionnement. La quasi-totalité des généralistes français ignorent ce qu'est l'exercice médical hors convention. Ils ne connaissent pas les conséquences d'une telle décision sur la santé d'une population, l'accès aux soins, la non-solvabilité des clientèles qui ne sont plus remboursées, et finalement le revenu des médecins. Chacun doit mesurer cela.
Ce n'est pas de notre ressort. Nous sommes sortis du champ syndical quand il y avait de vrais risques sur les libertés et notre éthique professionnelle. Aujourd'hui, notre rôle, c'est d'exiger un discours clair et transparent pour éviter le hiatus entre les discours et ce qui se fera réellement. A partir de là, les médecins feront leur choix électoral librement.
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