« JE SAIS par mon épouse quel a été le soutien de votre journal depuis mon incarcération au Tchad pour cette triste histoire de l'Arche de Zoé, et je vous en remercie. Laissez-moi vous apporter mon témoignage si celui-ci peut permettre d'éclairer mes pairs et l'opinion de ma profession.
J'ai 48 ans et j'exerce la médecine générale depuis quinze ans dans une petite commune de 1 500 habitants des Alpes-de-Haute-Provence, associé à une consoeur, dans un cabinet médical unique. Mon activité se partage entre consultations et visites en milieu rural. Au sein de l'hôpital local, qui comprend 9 lits sanitaires et 70 lits d'EHPAD, je suis président du comité médical d'établissement et médecin coordinateur du secteur sanitaire. Enfin, je suis médecin sapeur-pompier dans mon village et dans l'équipe montagne départementale, intervenant en première ligne pour les urgences à plus de 50 km du 1er hôpital général.
J'exerce, à mon sens, un des plus beaux métiers du monde et ses contraintes de plus en plus importantes n'arrivent pas à entamer mon enthousiasme. »
L'avis des politiques et des intellectuels.
« En mai 2007, nous avons été sensibles, mon épouse et moi, au sort des innocentes victimes de la guerre au Darfour. Il s'agissait pour nous, dans un premier temps, d'accueillir bénévolement un enfant orphelin d'une zone de guerre en réclamant pour lui le droit d'asile, conformément à la convention de Genève de 1951 protégeant les populations persécutées dans leur pays. En aucun cas il ne s'agissait d'un projet d'adoption car mon épouse et moi ne sommes pas en mal d'enfant, puisque nous en avons trois grands d'une vie antérieure et que nous sommes dans l'attente sereine d'adoption d'un enfant colombien à particularité.
A ce titre, nous connaissons parfaitement les lois relatives à l'adoption et savions très bien que le Soudan et le Tchad, comme tous les pays musulmans, n'ont pas ratifié la convention de La Haye. Enfin, nous savons aussi que l'adoption en France est sous la responsabilité des conseils généraux par l'intermédiaire des sources de l'Aide sociale à l'enfance.
Il ne s'agissait pas non plus d'un engagement politique car je ne suis ni militant ni un idéaliste. Avant de m'engager, je me suis documenté sur l'association l'Arche de Zoé, qui avait oeuvré pour les victimes du Tsunami en créant un orphelinat sur place. Je me suis informé sur la situation au Darfour pour comprendre l'origine du conflit, j'ai consulté les rapports des institutions onusiennes, constaté l'empêchement des ONG traditionnelles et j'ai pris l'avis des politiques (candidats à la présidentielle, Dr Kouchner) et des intellectuels (Bernard-Henri Lévy, collectifs Urgence Darfour et Sauver le Darfour).
Enfin, je me suis assuré auprès d'avocats spécialisés que cette mission humanitaire était conforme aux lois internationales sur le droit d'asile et aux lois nationales.
Avant mon départ, j'ai informé de mon projet le directeur départemental des services d'incendie et de secours, le sous-préfet, le maire de mon village, le député président du conseil général et le président du conseil régional (PACA). L'association, quant à elle, avait informé tous les ministres et tous les députés et sénateurs.
J'ai été choisi, sans le solliciter, pour participer à l'opération comme témoin du réseau des familles d'accueil et pour faire partie de l'équipe médicale, composée de cinq médecins et de sept infirmières, sous la responsabilité d'un coordinateur médical. Il s'agissait pour moi d'une grande première puisque jamais auparavant je n'avais effectué de mission humanitaire, ni même de voyage en Afrique, mais j'étais entouré de professionnels d'expérience, tant du point de vue humanitaire que médical.
Il y avait là un coordinateur médical, médecin urgentiste à la solide expérience humanitaire, collaborant au sein de Médecins du monde, deux autres médecins urgentistes ayant déjà fait des missions humanitaires, ainsi qu'une pédiatre d'origine camerounaise.
Enfin, cinq infirmières, toutes expérimentées, et deux infirmières spécialisées au sein des cellules d'urgence médico-psychologique. L'équipe médicale était renforcée par une dizaine de sapeurs-pompiers. »
De graves pathologies.
« Sur place, après une semaine de préparation où nous avons organisé un poste médical et établi des protocoles de prise en charge, collaborant avec les institutions onusiennes (HCR, UNICEF, OMS) et les structures sanitaires locales (hôpital local et antenne médicale des forces françaises au Tchad), nous avons vu arriver les premiers enfants dans la base arrière.
Ils étaient acheminés par petits groupes, par convoi terrestre ou transport aérien, depuis une base située à la frontière soudanaise, et arrivaient avec une fiche d'identification comprenant leur identité, leur âge et leur histoire personnelle attestant de leur condition d'orphelin du Darfour.
Mon rôle au sein de l'équipe médicale, comme tous mes confrères, était d'établir un bilan médical afin d'établir un dossier en vue de juger de l'opportunité d'une évacuation et à destination d'un médecin choisi par les familles d'accueil.
Tous ces enfants ont été examinés, ont subi des examens biologiques systématiques et appropriés en fonction des résultats du bilan. Environ un quart d'entre eux présentaient des pathologies dont la gravité était difficile à apprécier sur place : anémies profondes (drépanocytose ?), crises de paludisme sévère, hépatite B en phase aiguë ou chronique, bilharziose urinaire, leishmanioses cutanées et muqueuses, diarrhées chroniques et affections respiratoires résistantes aux antibiotiques. Enfin, tous ces enfants, à l'exception d'un seul (diabétique), présentaient un état de dénutrition plus ou moins marqué les rendant vulnérables en zone de guerre et avec leur statut d'orphelin.
Pendant un mois, j'ai donc participé à la prise en charge médicale de ces enfants, qui, manifestement, voyaient des médecins pour la première fois de leur vie. Je peux attester qu'ils ont reçu des soins attentifs dans le respect de la déontologie et que nous les avons vus peu à peu revivre sous nos yeux, grâce à des repas équilibrés, des soins d'hygiène, des locaux sécurisants, des activités ludiques et éducatives.
En tant que généraliste, j'avais également en charge de soigner les personnels de la base, tant expatriés que locaux (environ 150 personnes), et des personnels du HCR (Haut-Commissariat pour les réfugiés), avec lequel nous avions une collaboration, et d'autres ONG, à titre bénévole. A aucun moment, je n'ai participé aux décisions opérationnelles au contact des populations ou des autorités administratives. Je ne suis responsable que des décisions médicales que j'ai prises en collaboration avec mes confrères. »
D'humiliantes accusations.
« C'est par hasard que j'étais le dernier médecin sur place pour l'évacuation, car, la mission s'étant prolongée, un confrère qui devait m'assister lors de la dernière semaine avait eu un empêchement.
Je me suis donc retrouvé arrêté puis inculpé avec les autres acteurs de cette mission, dont une infirmière en oncologie pédiatrique, Nadia Merimi. Nous avons dû subir les humiliantes accusations de pédophilie et de trafic d'organes, par les plus hauts responsables de l'Etat tchadien, sous les yeux des enfants. Des enfants dont nous avons pris soin et que j'ai vu violentés par leurs gardiens après qu'ils nous avaient sauté dans les bras.
Accusé d'enlèvement d'enfants tchadiens à leurs parents sans preuve (pas d'état civil, refus d'effectuer des tests ADN gratuitement proposés par l'Espagne), puis condamné au terme d'un procès éclair, où jamais je n'ai pu exercer mon droit à la défense, à huit ans de travaux forcés et à plus d'un million d'euros de dommages et intérêts, comme chacun des acteurs de ce drame, sans aucune distinction des responsabilités respectives.
Sur le conseil des représentants consulaires et de mes avocats, j'ai accepté d'être transféré en France où les autorités françaises avaient promis à nos familles qu'il y aurait des solutions, après deux mois dans les geôles tchadiennes. En fait de solution, on me dit que la justice française ne pourra revenir sur cette condamnation tchadienne en vertu de l'accord judiciaire franco-tchadien de 1976 autrement qu'en lui substituant une peine de huit ans de prison.
Aujourd'hui, après quatre mois loin de chez moi, ma situation personnelle et professionnelle est dramatique. Mon épouse, à bout de force et sans ressources, nos trois enfants désemparés, ma consoeur assurant seule la charge du cabinet médical, de l'hôpital et des urgences. Je me sens humilié, ma vie est réduite à néant pour m'être engagé dans une cause qui m'a toujours semblée juste et dont personne ne m'a prévenu d'une quelconque illégalité.
Il s'agit d'une condamnation politique et je me sens victime de la raison d'Etat, d'un règlement de compte postcolonial qui m'empêche aujourd'hui de retrouver ma place de médecin auprès d'une population qui me réclame, convaincue de mon innocence, attestant de mon dévouement depuis quinze ans.
Toutefois, si je doit être condamné malgré tout, je veux bien effectuer ma peine, payer ma dette, de huit ans de travaux forcés comme médecin de campagne à Castellane, j'y serai bien plus utile pour la collectivité qu'en encombrant les prisons françaises.
La médecine rurale est une autre mission humanitaire, celle que j'exerce au quotidien depuis quinze ans.
Bien confraternellement. »
En quelques mots
– « J'ai 48 ans et j'exerce la médecine générale depuis quinze ans dans une petite commune de 1 500 habitants dans les Alpes-de-Haute-Provence (...),un des plus beaux métiers du monde. »
– L'opération de l'Arche de Zoé :« Il s'agissaitpour nousd'accueillir bénévolementun enfant orphelin, en aucun cas un projet d'adoption. »
–« J'ai pris l'avis des politiques (candidats à la présidentielle, Dr Kouchner) et des intellectuels (Bernard-Henri Lévy, collectifs Urgence Darfour et Sauver le Darfour). Je me suis assuré auprès d'avocats spécialisés que cette mission humanitaire était conforme aux loisinternationales. »
– « Je ne suis responsable que des décisions médicales. »
– « L'association avait informétous les ministres, députés et sénateurs. »
– Les enfants« ont reçu dessoins attentifs dans le respect de la déontologie et nous les avons vus peu à peu revivre sous nos yeux ».
– « Aujourd'hui, masituationpersonnelle et professionnelle estdramatique. »
Les peines de substitution prononcées lundi
C'est lundi après-midi, lors d'une nouvelle audience publique, que le tribunal de grande instance de Créteil fera connaître les peines substituées aux huit ans de travaux forcés qui avaient été prononcées, indistinctement, par la cour criminelle de N'Djamena, le 26 décembre dernier.
Lors de l'audience du 14 janvier, le procureur de la République Jean-Jacques Bosc avait estimé que le tribunal « ne pouvait pas porter d'appréciation sur la culpabilité des six Français, ni modifier le quantum de la peine prononcée au Tchad ». « Ce serait porter atteinte à un principe fondamental, la non-ingérence » dans les affaires d'un Etat souverain, avait-il expliqué, soulignant que les six condamnés, incarcérés à Fresnes (Val-de-Marne), depuis le 28 décembre, avaient « expressément reconnu le caractère définitif et exécutoire »de leur peine, quand ils ont demandé à être rapatriés en France dans le cadre de la convention judiciaire franco-tchadienne.
En réponse, l'un des avocats d'Eric Breteau, le président de l'Arche de Zoé, d'Emilie, son amie et assistante, et du Dr Philippe Van Winkelberg, a exhorté les juges à ne pas être « la mécanique absurde» d'une répression » qui a commencé au Tchad.
Autre avocate du médecin de Castellane, Me Céline Lorenzon avait plaidé « l'impossibilité de transformer une peine qui avait été prononcée en violation de la convention européenne des droits de l'homme, avec une instruction bâclée et menée exclusivement à charge en moins de six semaines, sans examen des pièces présentées par la défense, et en confondant tous les prévenus dans le même sac pénal ». Elle avait demandé la remise en liberté immédiate du praticien, « pour manifester avec éclat le courage et l'indépendance des magistrats français » .
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