Comment les présidents de CME des centres hospitaliers, qui vont vivre et orchestrer sur le terrain le passage de l'hôpital aux 35 heures, perçoivent-il l'accord qu'ont signé le gouvernement et les syndicats sur la réduction du temps de travail (RTT) des médecins hospitaliers ?
Dr ANTOINE PERRIN
La bonne application de cet accord dépend de nous. Statutairement, ce texte est bon ; mais il ne faut pas se leurrer, sa mise en uvre implique d'énormes restructurations. Je dirai même que plus les dispositions sur les 35 heures sont favorables aux médecins, plus elles vont accélérer les restructurations. Parce qu'il est impossible de permettre les avancées sociales prévues, notamment en matière de récupération, s'il n'y a pas disparition des petits plateaux techniques, diminution du nombre des sites assurant la permanence des soins, regroupement des compétences. La conjonction des 35 heures, de la démographie médicale, de l'intégration des gardes dans le temps de travail et de l'application des normes de sécurité ne laisse pas d'autre choix. Et le phénomène s'annonce particulièrement « changeant », pour ne pas dire « sanglant ».
Non, je crois qu'il faut aller encore plus loin. En France, il y a autour de 4 000 établissements de santé. L'Italie, pour une population comparable, en compte 1 000. Alors ne disons pas que l'on est allé jusqu'au bout de la restructuration. Nous avons trop de plateaux techniques dans les centres hospitaliers. Il en faut moins, je le dis au risque d'apparaître - je suis chirurgien - comme un traître à la cause. Que souhaite l'usager ? Se faire opérer en toute sécurité. Quand un chef de clinique veut s'installer, que cherche-t-il ? Pas le petit hôpital avec un chirurgien et un anesthésiste. Il se tourne vers des équipes confortées, des plateaux techniques totalement sécurisés. Il veut l'assurance que quelqu'un pourra le remplacer s'il ne peut pas prendre sa garde... Or, encore aujourd'hui, beaucoup de petits établissements ne répondent pas à ces critères.
La responsabilité des médecins
Dans ces conditions, le risque n'est-il pas grand que la pénurie de médecins soit le facteur déclenchant des restructurations liées aux 35 heures ?
Ce risque existe. Et c'est à cause de lui qu'il faut mettre les médecins devant leurs responsabilités. Si on ne fait pas cela, il va y avoir des hécatombes, y compris dans certaines petites structures qui ont besoin d'être pérennisées parce qu'elles répondent à des besoins de la population. Il est nécessaire, afin qu'elles se fassent de manière intelligente, d'accompagner les restructurations. Le protocole d'accord nous donne deux outils pour cela : les « comités locaux » qui, dans chaque établissement, vont rassembler la CME (commission médicale d'établissement) et la direction ; les « commissions régionales de suivi », pilotées par les agences régionales de l'hospitalisation (ARH). Nous sommes donc dans une logique de gestion régionale de la santé publique.
La démarche institutionnelle doit prendre le relais de la démarche syndicale de négociation statutaire. Cela va dans le sens de la responsabilisation des médecins. Le niveau local fera des propositions et le niveau régional décidera. Prenons l'exemple de l'anesthésie où, compte tenu de la démographie médicale, la situation est difficile. On ne va certainement pas maintenir le même nombre de listes de garde en passant aux 35 heures.
Deux cas de figure. Dans le premier, le CHU Tartempion demande tant de créations de postes. On les lui accorde. Ce sont les médecins des centres hospitaliers avoisinants qui viennent occuper ces postes, privant de garde des bassins de population entiers. Dans le second cas de figure, le CHU diminue le nombre de ses listes de garde et les centres hospitaliers d'à côté font la même chose.
Créations de postes : Méfiance
Cette vision de la situation signifie que vous ne croyez pas à la promesse du gouvernement de créer 3 500 nouveaux postes de médecin à l'hôpital.
Je m'en méfie en tout cas beaucoup. Les critères de création de ces postes me posent en particulier problème. En anesthésie, où de nombreux postes existants sont déjà vacants, en créer de nouveaux ne peut que vider les centres hospitaliers. On risque, si on ne fait pas attention, d'aggraver la situation des petits.
Ils n'ont pas vraiment le choix. Un changement d'état d'esprit est nécessaire. Il ne faut plus raisonner en services, ni même en structures, mais bien en « équipes médicales dans un bassin de vie ». Cela passe par une remise en cause de l'existant et par une réflexion sur de nouvelles formes de travail. Quand, dans un hôpital, coexistent deux services de chirurgie viscérale qui ne veulent pas travailler ensemble, que, de ce fait, le week-end, ce n'est pas un mais deux médecins qui viennent faire leur visite dans l'établissement, la question va se poser avec la RTT : va-t-on continuer à payer pour cela ?
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