LE QUOTIDIEN A un peu moins de sept mois des échéances électorales, quel bilan tirez-vous de la politique de santé et d'assurance-maladie de Lionel Jospin ?
Le gouvernement est en train de dynamiter le système de santé à la française. D'abord par une étatisation progressive. Il n'y a plus de paritarisme, pratiquement plus de politique conventionnelle. Ensuite, la liberté de choix du patient est en train de disparaître. On le voit clairement avec les difficultés actuelles des cliniques privées qui n'arrivent plus à recruter d'infirmières et n'auront plus d'autres choix que de disparaître ou de devenir une simple force d'appoint de l'hôpital public. Enfin, nous assistons au triomphe de la logique comptable et de la recherche exclusive des équilibres budgétaires. Pour moi, c'est la définition même du système anglais. Ce que l'on annonçait en 1995 est en train de se réaliser.
De plus, ce gouvernement méprise complètement les médecins libéraux et les syndicats médicaux. Le Premier ministre ne s'est jamais, en cinq ans, exprimé sur le dossier et ne nous a jamais reçus. Quand va-t-il s'en préoccuper ? Pendant la campagne électorale ?
Un inventaire à la Prévert
Elisabeth Guigou a cependant mis en place une concertation au début de l'année et annoncé cet été un certain nombre de pistes de réformes...
Les deux Grenelle, c'est pour moi la recherche de l'enlisement du processus et de l'endormissement de tous les acteurs. Ce qui a été annoncé au mois de juillet, c'est un inventaire à la Prévert de tous les problèmes du système de santé. Cela n'a aucun intérêt, car qu'est-ce qui se passe actuellement ? Le gouvernement décide la création de 40 000 emplois à l'hôpital, met en pace un fonds d'indemnisation dans le cadre de l'aléa thérapeutique et va ensuite se retourner vers les médecins pour dire qu'il n'y a pas d'argent pour revaloriser leurs actes. Ça suffit !
Le gouvernement a entre les mains de multiples propositions, qu'elles émanent de la CSMF, du CNPS ou du G7. Qu'en fait-il ? Rien.
Le PLFSS est la dernière chance du gouvernement. Il a la possibilité de se rattraper et de nous écouter. Il dispose désormais de tous les éléments pour ça. Mais attention, on ne se contentera pas de réformes à la marge. Pour être simpliste, je dirai : l'observatoire de la démographie médicale, on s'en fout ! Moi j'attends des propositions précises sur les problèmes de fond, comme la maîtrise des dépenses. Ce que nous voulons, c'est que, dans ce texte, deux points apparaissent clairement : d'abord que l'objectif des dépenses d'assurance-maladie n'est pas opposable aux médecins et ensuite que l'on va reconnaître la valeur réelle de leurs actes. La qualité des soins, elle nécessite peut-être des contraintes, mais cela a un coût. On ne paie pas le même prix une table en chêne et une table en plastique. Le gouvernement doit faire pour les médecins libéraux l'effort financier qu'il a fait pour l'hôpital public. On a proposé une méthode pour calculer la valeur réelle d'un acte médical. On peut imaginer une montée en charge progressive de cette revalorisation, mais on doit répondre impérativement à ce problème. S'il n'y a pas ces deux éléments, il pourra essayer de mettre en place tout ce qu'il veut, ça ne marchera pas.
Le gouvernement n'y semble guère favorable, tout comme Alain Juppé, qui affirmait récemment qu'aucun gouvernement ne pendrait le risque de revaloriser les actes sans avoir une garantie concernant l'évolution des dépenses.
Depuis 1993, la CSMF a indiqué qu'elle était prête à s'engager dans une maîtrise médicalisée et concertée des dépenses. Mais que peut-on demander de plus à un médecin, mis à part qu'il délivre des actes utiles et de qualité ? Vous ne pouvez pas lui demander d'être responsable du coût du système, c'est-à-dire de respecter un objectif financier qui en plus ne répond pas forcément aux besoins. Il faut que les politiques prennent à leur tour leurs responsabilités, qu'ils abandonnent le bouclage comptable qui, de toute façon, est un leurre puisqu'il a prouvé son inefficacité. Cet entêtement à s'accrocher à quelque chose qui ne marche pas sous prétexte que c'est la seule solution et qu'ils pensent que ça marche est un peu étrange.
Le renouvellement des conseils d'administration à la fin du mois peut-il être une occasion pour vous de renouer le dialogue conventionnel avec les caisses d'assurance-maladie, interrompu depuis plus de cinq ans ?
En matière de partenariat conventionnel, il est vrai que nous sommes arrivés au bout d'un certain système et qu'il est nécessaire de le rebâtir. C'est ce que nous avons commencé à faire dans le cadre du G 7 : voir comment on peut, sur une base contractuelle, parvenir à une nouvelle convention qui, je le précise, doit être unique et non à plusieurs niveaux. Nous sommes prêts à nous engager dans un dialogue conventionnel, mais à condition que la loi le permette. Or, pour l'instant, l'écriture conventionnelle ne peut être que le reflet de la loi de 1999, que nous dénonçons. Le renouvellement des conseils d'administration à la fin du mois va peut-être précipiter les choses. Je ne sais pas encore quelle sera la portée du départ du Medef. Mais je ne crois pas qu'il remette forcément en cause la majorité et la présidence actuelle.
Ne comptez-vous pas sur un changement de majorité pour faire passer votre projet ?
Je n'exclus pas de travailler avec la CFDT et Jean-Marie Spaeth. Je ne joue l'alternance ni à la tête de la CNAM ni au gouvernement. Si actuellement quelqu'un joue la montre et enlise le processus, c'est le gouvernement, et pour des raisons électoralistes. Il ne faudrait pas assimiler nos prises de position, qui sont fortes et constantes, avec une volonté de botter en touche. Nous avons une certaine idée de la médecine et du système de santé. Nous avons toujours dit que nous étions prêts à accepter beaucoup de choses. Mais il y a une ligne rouge que je n'accepterai pas de franchir. Et j'ai la faiblesse de croire que la majorité des médecins pensent comme moi. Les dernières élections aux unions régionales l'ont démontré. Le gouvernement devrait donc accepter de changer sa politique et de s'appuyer sur la majorité du corps médical, sans lequel rien ne marchera.
Si, une fois de plus, vous n'obteniez pas satisfaction, quels seraient aujourd'hui vos moyens de riposte dans la mesure où vous n'avez pas réussi à vous faire entendre au cours de ces cinq dernières années ?
J'ai toujours dit que nous nous étions engagés dans une longue marche. Le mur de Berlin n'est pas tombé en un seul jour. Ce n'est pas parce qu'on n'a pas obtenu ce qu'on souhaitait que l'on va changer d'avis. Si on avait écouté les syndicats qui ont accepté de participer à la politique actuelle, où en serait-on aujourd'hui ? D'ailleurs, ce sont les conventionnistes qui sont, à l'heure actuelle, les plus désabusés ; car ils ont pris conscience des conséquences néfastes de cette politique. Alors cinq ans, c'est court. « L'important, ce n'est pas d'être optimiste ou pessimiste, mais d'être déterminée », disait Jean Monnet. Nous avons défini nos lignes rouges, nous ne les franchirons pas. Si nous n'obtenons pas ce que nous voulons, nous continuerons à nous battre.
Notamment à l'occasion de la campagne électorale ?
Bien évidemment. Nous serons présents dans cette campagne et nous ferons cette fois en sorte que le débat sur la santé ne soit pas occulté. Il va bien falloir que le problème du système de santé public et privé soit mis une fois pour toutes sur la table et que les candidats ne se contentent pas de trois lignes dans leur programme. Nous alerterons les Français pour qu'ils interpellent les candidats dans ce sens. En Grande-Bretagne, la santé a été au premier plan des élections et le Premier ministre Tony Blair vient d'annoncer qu'il allait permettre aux Anglais d'aller se faire soigner à l'étranger pour désengorger les listes d'attente. Faut-il en arriver là ?
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