LE QUOTIDIEN - Que représente exactement pour vous l'accord auquel vient de parvenir le G7 ?
Dr CLAUDE MAFFIOLI - C'est pour nous un tournant important. Il y a eu deux étapes essentielles dans la démarche de « refondation partenariale » dont nous avons pris l'initiative. La première, quand les grandes centrales de salariés qui siègent à la CNAM ont senti la nécessité de renouer le dialogue et ont accepté de venir discuter avec nous. La deuxième est l'accord auquel nous sommes parvenus. Un accord satisfaisant, même s'il ne s'agit pour l'instant que de grandes orientations politiques et conventionnelles. Tout n'est pas encore réglé dans le détail. Cela représente néanmoins un tournant, parce que c'est un accord entre deux des principaux acteurs du système de santé et que nous allons désormais le défendre ensemble. C'est de toute façon la seule alternative qui existe à la logique actuelle de maîtrise des dépenses. Si tout le monde est d'accord, comme c'était le cas lors du « Grenelle de la santé », pour reconnaître que la logique actuelle n'est pas bonne, alors pourquoi ne pas tenter autre chose ?
Compte tenu du contexte politique préélectoral, cette alternative a-t-elle une chance de s'imposer ?
Le danger est qu'effectivement la volonté gouvernementale soit de ne rien changer jusqu'aux prochaines élections. On le sent bien dans les déclarations actuelles et nous le dénonçons depuis le départ. Les décisions prises par Elisabeth Guigou, le 25 janvier, de mettre en place une commission et de se revoir six mois après s'inscrivent dans cette démarche. C'est pour ça que nous ferons tout pour rompre cette léthargie. La CSMF sera évidemment partie prenante de la grande manifestation nationale prévue le 12 juin. La période préélectorale est un handicap, mais elle ne doit pas annihiler notre démarche. Car quels que soient les aléas politiques, que ce soit aujourd'hui ou demain, si le gouvernement continue à appliquer la politique actuelle, il se trouvera devant la même problématique : un système ubuesque et voué à l'échec. Quelle que soit la réponse, nous continuerons donc à marteler nos convictions et à proposer notre projet. Mais à la différence de 1995 (au moment du plan Juppé) , nous ne sommes plus seuls aujourd'hui.
Responsabilité collective et individuelle
Vous souhaitez la mise en place d'une réelle maîtrise médicalisée des dépenses. Sur quoi se fonde-t-elle et comment la responsabilité des médecins peut-elle être engagée dans ce domaine ?
Nous sommes partis du principe que si on souhaite qu'une profession se responsabilise, il faut avant tout reconnaître la valeur réelle de son acte. C'est pourquoi nous ne proposons pas, dans cet accord, une simple revalorisation de l'acte médical mais une estimation de sa valeur réelle. A partir de là, on peut s'engager à donner toutes les garanties de qualité relatives à cet acte et aux conditions de réalisation de cet acte. C'est ce que nous nous sommes efforcés de faire à travers les douze thèmes abordés. La responsabilité collective de la profession doit se manifester dans trois domaines principaux : la régulation de l'offre, la coordination organisée du système de soins et l'évaluation des pratiques professionnelles. La responsabilité individuelle, elle, existe déjà dans le dispositif conventionnel. Ce que nous proposons, c'est un contrat politique et conventionnel qui est cohérent dans sa globalité et dont on doit respecter l'équilibre.
Le nouveau secteur d'exercice que vous proposez doit-il dans votre esprit se substituer aux anciens secteurs I et II ?
Pourquoi existe-t-il aujourd'hui deux secteurs d'exercice conventionnels ? Justement parce que le secteur I n'a pas su répondre au problème de la reconnaissance de la valeur professionnelle des actes. Quand on a instauré le secteur II, le nombre d'actes a considérablement baissé. Doit-on continuer à faire perdurer un système où la majorité des médecins se retrouve obligatoirement dans le secteur qui justement les étrangle financièrement ? On s'est donc mis d'accord sur un secteur conventionnel où les médecins seraient justement rémunérés et s'engageraient en échange sur la qualité de l'acte. Si on est d'accord là-dessus, la question se pose ensuite de conserver l'ancienne dualité des secteurs d'exercice.
L'application de cet accord conduira cependant, dans un premier temps, à une augmentation des dépenses.
C'est vrai que notre accord représente un coût important. Nous en sommes conscients. Ce qui prouve qu'avoir laissé péricliter le système pendant plusieurs années a été un mauvais choix. Mais nous pensons, d'une part, que ce coût est indispensable et, d'autre part, que c'est un investissement et, comme pour tout investissement, il y a aura à un moment un retour. C'est au gouvernement de prendre ses responsabilités dans ce domaine. S'il considère que la santé est un choix prioritaire, qu'il faut un système de santé efficace, il doit s'en donner les moyens et prendre ses responsabilités dans le domaine budgétaire. C'est un défi à relever, mais ne vaut-il pas mieux essayer de le relever en accord avec tout le monde plutôt que d'imposer par la coercition un dispositif qui ne marche pas ?
Qu'attendez-vous du second « Grenelle de la Santé » qui se réunit au mois de juin ?
La mission de concertation (lancée par Elisabeth Guigou pour faire le point sur les soins de ville) nous a reçus, mais il ne s'est agi que d'un monologue. Nous, ce dont nous avons besoin désormais, c'est de construire quelque chose, donc de discuter avec les décideurs. Le constat, il est fait depuis longtemps. Je persiste donc à dire qu'aux problèmes posés Elisabeth Guigou n'a pas donné la réponse adaptée. Si on reste dans cette logique, je suis très pessimiste sur ce qui pourra ressortir de cette mission. En revanche, si d'ici au mois de juin, la ministre nous reçoit avec nos propositions communes et que nous y travaillons ensemble, alors elle deviendra constructive.
Que se passera-t-il si rien n'est décidé au mois de juin et si le dispositif actuel de maîtrise est maintenu ?
Je ne sais pas encore précisément ce que l'on fera.
La ligne de la CSMF n'a cependant jamais varié. Elle a consisté, d'une part, à être en mesure de proposer quelque chose de cohérent et, d'autre part, de mener parallèlement des actions fortes de contestation. Nous ne changerons pas de stratégie. Notre premier objectif, c'est la manifestation du 12 juin. La décision d'Elisabeth Guigou de fixer un objectif de dépenses déléguées (c'est-à-dire une enveloppe pour les honoraires des professionnels de santé libéraux) pour 2001 prouve bien, au-delà de ses paroles, qu'elle entend bien pour l'instant rester dans la même logique, quitte à friser le ridicule. On pourrait donc légitimement penser qu'elle n'a pas l'intention de changer le dispositif. De notre côté non plus, nous n'abandonnerons pas notre combat.
Votre pouvoir de nuisance peut-il être aussi grand pour un gouvernement de gauche qu'il l'a été pour Alain Juppé ?
Les élections sont encore loin. Je tiens par ailleurs à dire que la CSMF n'a jamais donné de consignes de vote. Nous ne sommes pas là pour faire de la politique. J'ai toujours dit que si Jospin acceptait mon plan, je signerais avec Jospin. En 1997, ce qui c'est passé (la défaite de la droite aux législatives) a été le résultat de positions individuelles ; mais c'est vrai que nous avons fait la démonstration à cette occasion qu'on pouvait représenter une réelle force électorale. Elle existe toujours et elle s'exprimera en 2002.
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