LE QUOTIDIEN - Vous venez d'annoncer la création de GSK France. Cela signifie-t-il que la fusion est terminée ?
DOMINIQUE LIMET - Oui, si l'on ne considère que les aspects macroscopiques de la fusion : mise en place juridique et organisationnelle, plan social d'accompagnement. Mais il faudra encore six à huit mois pour affiner, compléter et valider les décisions prises : regroupement effectif des personnels sur le même site, redéfinition - si besoin est - des missions respectives des nouveaux responsables, recrutement des personnels qui nous manquent.
En outre, il faudra dix-huit à vingt-quiatre mois pour créer pleinement une nouvelle dynamique GSK, pour définir une nouvelle culture managériale et faire émerger les valeurs qui nous sont communes, afin de donner un sens à nos actions futures. Cela demande obligatoirement du temps, car la maturation d'une nouvelle identité culturelle ne se décrète pas.
Comment vivriez-vous éventuellement une nouvelle fusion, dans les deux ans à venir ?
Il est vrai que nous avons acquis une certaine forme de compétence dans ce domaine, à travers les fusions Glaxo et Wellcome, SmithKline et Beecham, puis GlaxoWellcome et SmithKline Beecham. Cependant nous ne souhaitons pas vivre une telle expérience qui nuirait sûrement au processus de maturation que j'évoquais, car il ne faut pas cacher qu'une fusion est un moment de crise dans l'entreprise, un moment de doute pour les collaborateurs.
Les médecins et les fusions
Avant d'être dirigeant de laboratoire pharmaceutique, vous avez été médecin. Que diriez-vous à vos anciens confrères pour les convaincre des bienfaits de ces fusions ?
Avant de répondre à votre question, je dois souligner que, pour un dirigeant, la fusion est une expérience très lourde à gérer, avec un impact social initial très significatif qui réclame une très forte mobilisation personnelle pour répondre aux attentes de nos collaborateurs. Si nous acceptons d'assumer ces responsabilités, c'est bien parce qu'en reformant et en revitalisant les deux entreprises fusionnées, nous espérons bien créer de la valeur ajoutée et donc, à terme, de l'emploi : je dois préciser que la précédente fusion entre Glaxo et Wellcome a permis d'atteindre cet objectif, avec un solde très positif en termes d'emploi.
En ce qui concerne les médecins, j'évoquerai brièvement l'intérêt que peuvent percevoir ceux qui sont aussi actionnaires pour m'intéresser à deux paramètres essentiels : la qualité de la visite médicale et le portefeuille de médicaments.
Certes, le médecin va percevoir des changements dans notre organisation de la visite médicale, même si nous avons veillé à ce que la fusion GSK soit le moins perturbante possible dans ce domaine. Surtout l'importance de notre portefeuille produits nous a conduit à spécialiser nos réseaux GSK, chacun ayant une compétence accrue dans le domaine thérapeutique qu'il a à gérer, ce qui devrait améliorer encore la qualité de notre information et de nos services.
Surtout, les médecins doivent être convaincus du fait que ces fusions ont pour principale finalité de dégager des budgets plus importants de recherche et de développement et, on peut l'espérer, de découvrir de nouveaux médicaments innovants. Une nécessité quand on sait que les besoins médicaux sont loin d'être tous couverts. La fusion GSK a été particulièrement étudiée sur ce plan, afin d'optimiser la recherche de nouvelles cibles, la découverte de nouvelles molécules et leur développement clinique.
Accepter les conséquences de l'innovation
Pensez-vous que les pouvoirs publics vont vous suivre sans réserve dans cette politique de l'innovation, car l'innovation coûte cher ?
En tant que président de GSK, je m'interroge sur la nécessité d'un plan médicament aujourd'hui. Je ferai remarquer que nous sommes liés par un accord sectoriel avec les pouvoirs publics et que la croissance du marché du médicament est actuellement peu importante, de l'ordre de 7 %. Ce qui correspond à l'accroissement des besoins de santé estimé par le Claude Le Pen (professeur d'économie de la santé, NDLR). Il est vrai que, l'an passé, la moitié de la croissance était due aux médicaments récents avec une amélioration du service médical rendu reconnue, mais faut-il s'étonner et encore plus se plaindre d'une telle tendance ?
Je ne le pense pas, car on ne peut, à la fois, se féliciter du progrès thérapeutique et de l'allongement de l'espérance de vie et, en outre, croire que ces avancées n'auront pas de répercussions financières.
Dans beaucoup de domaines, on observe le même phénomène, mais je reconnais qu'il est difficile à quantifier précisément. Les économies ne sont pas toujours immédiates, surtout quand elles sont d'ordre structurel : la mise sur le marché d'antituberculeux efficaces n'a abouti à la fermeture des sanatoriums que treize ans plus tard.
Mais le problème de fond n'est pas là, car il existe encore de nombreux besoins médicaux non satisfaits, et la société moderne demande à ce qu'on les couvre. Partant de là, il faut réfléchir à un nouveau mode de prise en charge qui permettra cette innovation et l'accès de tous à cette dernière quand elle touche à la santé publique et/ou à des maladies sévères. Réflexion qui doit porter sur les rôles respectifs de l'assurance obligatoire, des assurances complémentaires et des financements par le patient ou le consommateur de soins. Réflexion indispensable si l'on ne veut pas freiner la vraie innovation.
Vous posez le problème du remboursement collectif de l'innovation. L'exemple de la lutte contre le tabagisme montre que les arbitrages sont parfois difficiles, à la limite de la cohérence ?
Il s'agit d'un problème complexe, avec deux types de population bien différents : les fumeurs qui sont déjà malades (BPCO, maladie cardio-vasculaire) et les autres qui le deviendront sans doute, s'ils ne mettent pas un terme à leur intoxication. Autrement dit, il s'agit de prévention primaire et secondaire : dans ce second cas, on sait que l'arrêt du tabac est la mesure la plus efficace, qu'il s'agisse de pathologie pulmonaire ou cardio-vasculaire. Il serait donc logique de rembourser des produits qui ont démontré leur efficacité, au même titre qu'un antihypertenseur ou un vaccin.
Mais les pouvoirs publics hésitent à le faire, compte tenu du fort taux de rechutes, d'autant que certains experts soutiennent qu'une implication financière du patient va de pair avec une plus forte motivation et, donc, avec de grandes chances de succès. Un point de vue qui est cependant discutable et qui pose clairement le problème de la reconnaissance de besoins médicaux prioritaires. D'ailleurs, rien ne dit que la Sécurité Sociale ou des assurances privées n'arrivent pas à la conclusion que le remboursement de notre spécialité Zyban soit logique et souhaitable, au moins en prévention secondaire.
Optimisme raisonné
Dans la lutte contre le tabagisme, mais aussi d'une façon générale, l'information du patient apparaît de plus en plus comme une nécessité. Comment jugez-vous l'évolution de notre pays, dans ce domaine ?
Nous sommes un pays habitué à vivre avec beaucoup de contraintes et peu de transparence, et cela reste vrai quand on voit qu'aujourd'hui encore le patient a beaucoup de mal à obtenir son dossier médical. La peur d'un accroissement de la consommation médicale globale, la crainte de perte de pouvoir et de nombreux autres facteurs expliquent que l'évolution de notre pays soit lente dans la diffusion de l'information médicale au public.
Mais ce mouvement est inéluctable, accéléré par Internet et il est, à mes yeux, tout à fait souhaitable : des patients mieux informés sur leurs pathologies et leurs traitements, plus responsables de la mise en uvre de ces traitements et de la gestion des coûts me semblent être des interlocuteurs plus efficaces, que je raisonne en tant qu'ancien médecin ou comme président de GSK.
In fine, comment voyez-vous l'avenir de GSK et, d'une façon plus générale, de l'industrie pharmaceutique ?
J'espère vous avoir montré que nous avons tout fait pour permettre à GSK d'affronter au mieux les échéances à venir et de conserver son rôle de leader dans la pharmacie mondiale. GSK s'est globalement doté de moyens sans précédent pour couvrir les besoins médicaux non encore satisfaits ; je ne suis donc pas inquiet à ce niveau, d'autant que l'attente de nos sociétés est forte en matière de santé. Là, moins qu'ailleurs, on arrêtera le progrès.
Je serai, en revanche, plus réservé quant à la place de notre pays et de l'Europe, en général, dans ce développement : la place globale de notre pays s'érode et, pour ne parler que du médicament, si l'Europe représente encore le quart du marché mondial, le fossé se creuse avec les Etats-Unis, et le développement des marchés asiatiques et sud-américains peut concurrencer notre continent. Surtout, la croissance est plus lente en Europe qu'aux Etats-Unis, les entreprises de biotechnologies y sont moins nombreuses, les Etats-Unis sont plus que jamais le centre de la pharmacie mondiale.
Cela ne veut pas dire que l'Europe ait perdu la partie, à la condition d'offrir une plus grande visibilité aux investisseurs, en termes de politique du médicament : les investisseurs supportent mal, en effet, les changements trop brutaux de règlements, la non-reconnaissance de la nécessité d'un juste retour sur investissement, les délais trop longs de mise sur le marché. Il faut aujourd'hui plus de neuf mois de négociation avec les pouvoirs publics pour obtenir le remboursement d'un médicament. Je reste très confiant sur notre capacité à surmonter ces obstacles.
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