L’AUDIENCE devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Bordeaux s’est déroulée sans surprise. «Le parquet n’est pas sorti de sa position rigoriste, commente l’avocat du Dr Laurence Tramois, Me Benoît Ducos-Ader ; il a jugé que les faits étaient caractérisés par la prescription et l’injection de chlorure de potassium à la patiente, la volonté de donner la mort entraînant, selon lui, la qualification de complicité d’empoisonnement pour le DrTramois et d’empoisonnement pour l’infirmière Chantal Chanel qui a réalisé l’injection» (« le Quotidien » du 10 janvier 2006).
Considérant qu’il n’était pas question pour la cour de «trancher» dans un débat de société et que «le seul objet de (l’) audience était de déterminer l’opportunité des poursuites», il a demandé la confirmation du renvoi devant la cour d’assises de la Dordogne.
«En réponse, explique l’avocat, nous avons plaidé le non-lieu, en nous calant sur l’ordonnance rendue dans le dossier Vincent Humbert par la juge d’instruction Anne Morvant: trois jours avant la décision de renvoi devant la cour d’assises de la Dordogne, dans une inexplicable distorsion, la magistrate avait prononcé un non-lieu général en s’appuyant sur l’état de nécessité et la contrainte morale qui s’étaient exercés sur le médecin et son équipe. Certes, poursuit Me Ducos-Ader, dans l’affaire de la Dordogne, la pression médiatique n’était pas ce qu’elle avait été dans l’affaire Chaussoy, mais la pression familiale n’était pas moindre; compte tenu des liens familiaux qu’elle avait avec la patiente, elle n’a pas eu le choix. En outre, insiste l’avocat, la patiente était arrivée à un stade où la morphine ne pouvait plus la soulager, et elle avait supplié l’équipe soignante de lui épargner une fin de vie indigne.»
Pour sa part, le Dr Tramois se montre très émue par le traitement que lui a infligé le magistrat : «Je ne souhaite à aucun médecin de connaître une semblable mise en cause», déclare-t-elle au « Quotidien ».
« Comme une situation de viol »...
Dénonçant ce qu’elle a vécu, avec sa famille, «comme une situation de viol», elle se déclare atteinte par «la volonté systématique du parquet d’interpréter les faits du dossier exclusivement à (sa) charge, allant jusqu’à tirer argument d’une expertise psychiatrique qui rapportait le contexte d’une enfance douloureuse, avec un père atteint d’une lourde pathologie».
La praticienne a quitté le tribunal en souhaitant finalement être renvoyée devant la cour d’assises «pour être en mesure, d’une part, explique-t-elle, de clarifier (son) code de conduite médicale et, d’autre part, de fournir matière à réflexion éthique aux confrères qui peuvent se trouver confrontés, un jour ou l’autre, à une situation similaire».
Selon la praticienne, son affaire est en effet exemplaire : «La loi sur la fin de vie nécessite d’être complétée pour préciser les conditions du laissermourir dans un certain nombre de cas. Mon affaire est représentative de 5 à 10% des situations rencontrées dans les services de soins palliatifs et le législateur doit les prendre explicitement en considération, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.» Assis au premier rang de l’assistance aux côtés du fils de la patiente, le Dr Frédéric Chaussoy était présent à Bordeaux pour exprimer son soutien à sa consoeur. «J’ai pour ma part échappé à ce type d’audience, où un médecin, qui a agi en conscience et de manière purement compassionnelle, s’est trouvé psychologiquement déshabillé et traité de la même manière qu’un assassin ou un violeur d’enfant», note le chef du service de réanimation du centre héliomarin de Berck-sur-Mer (Pas-de-Calais), où avait été hospitalisé Vincent Humbert. Se déclarant «profondément choqué de voir que, dans deux affaires qui comportent de très nombreux points communs, et en particulier le recours à la même substance létale, la justice puisse, à quelques semaines de distance, adopter deux poids deux mesures», le Dr Chaussoy entend à présent mobiliser l’opinion médicale en faveur du Dr Laurence Tramois : «Je voudrais interpeller tous les médecins et leur dire: et si demain c’était vous qui étiez à la place de Laurence Tramois? Car, en l’état actuel de la loi, tous les médecins restent exposés à ce type de procédure.» La décision de la chambre de l’instruction a été mise en délibéré au 13 juin.
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