LE QUOTIDIEN - La Fédération des médecins de France réunit son bureau le 12 septembre. Quel sera pour vous le principal sujet de préoccupation de cette rentrée ?
Dr JEAN GRAS - Pour nous, notre principal sujet de préoccupation, c'est de savoir ce que seront les dispositions du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2002. Je ne sais pas si le gouvernement va prendre en considération les propositions formulées par la mission de concertation sur l'avenir de la médecine libérale (propositions qui ont été dévoilées lors du second « Grenelle de la santé », en juillet). Nous, en tout cas, nous sommes contre ces propositions.
Pourquoi ?
Parce que les « sages » proposent un système de convention à plusieurs étages dont nous ne voulons pas. En effet, le premier étage fixerait des dispositions communes à l'ensemble des professions conventionnées. Or les dispositions de ce premier étage, proposent les sages, pourraient être fixées par voie réglementaire, par décret. C'est donc la fin de la négociation conventionnelle. Le gouvernement pourrait, par ce biais, court-circuiter la CSMF, le SML et la FMF, c'est-à-dire les syndicats qui sont opposés à une régulation comptable des dépenses de santé.
Le deuxième étage comprendrait des dispositions par spécialité qui pourraient être négociées par des syndicats catégoriels. De cela nous ne voulons pas non plus. Le G7 (groupe de travail rassemblant trois syndicats de praticiens libéraux - dont la FMF - et quatre syndicats de salariés) s'est prononcé pour une convention nationale unique polycatégorielle, quitte à ce qu'il y ait autant d'avenants spécifiques que nécessaire. Mais tout cela doit être négocié, et négocié par des syndicats polycatégoriels. Quant au troisième étage, qui comprendrait des contrats individuels entre les caisses et les médecins, c'est aussi inacceptable. Les propositions des « sages » ne peuvent constituer l'avenir de la médecine libérale.
« Extrêmement grave »
Mais il n'y a pas que cela dans le rapport de la mission de concertation. Il y a aussi des propositions intéressantes, concernant les moyens de régler les problèmes de la démographie médicale et les insuffisances de médecins dans certaines zones ou dans certaines disciplines.
Sur ce chapitre aussi, nous ne sommes pas d'accord avec les propositions des sages de la mission de concertation. Ils suggèrent de transférer à des médecins généralistes des activités qui sont de la compétence des spécialistes, de transférer à des professions paramédicales des domaines qui relèvent actuellement des professions médicales, voire de créer de nouvelles professions de santé (par exemple, une profession non médicale qui pourrait prescrire des lunettes). Ce sont des choses extrêmement graves, qui remettent en cause le monopole d'exercice de la médecine en France. Cela n'est pas acceptable.
Est-ce que vous misez sur le contexte politique, la proximité des élections pour tenter de faire prévaloir votre point de vue, votre opposition à la maîtrise comptable des dépenses de santé ?
Nous avons fait un bilan de la situation dans laquelle se trouve le corps médical. Et ce bilan est le suivant : nous sommes face à des politiciens qui ne nous entendent pas. Cette fracture entre les médecins et les politiques a été provoquée par le plan Juppé. Le gouvernement actuel nous dit : « Je vous comprends, mais tant qu'il n'y a pas un autre mécanisme de maîtrise des dépenses de médecine de ville, je garderai l'actuel. » Nous ne sommes entendus ni par la droite, ni par la gauche.
Quant aux partenaires sociaux, la Mutualité sociale agricole est ravie de la politique actuelle que nous condamnons, la Caisse nationale d'assurance-maladie de travailleurs indépendants fait des propositions technocratiques, la CNAM, sous la présidence de la CFDT, applique la loi et les ordonnances Juppé que nous réprouvons, et le Medef ne croit plus à la politique conventionnelle entre les caisses et les médecins, et défend son bifteck. Il n'y a personne qui défende les médecins ; c'est grave, c'est très grave, c'est une situation que nous n'avons jamais connue.
Les 35 heures, c'est pas pour les libéraux
Sur le terrain, de nombreux praticiens exigent une revalorisation des honoraires et souhaitent également travailler moins. Quelle est l'attitude de la FMF sur ces dossiers ?
Il y a longtemps que nous disons que le tarif de la consultation (actuellement 115 F) doit être porté à 250 F. Quant au G7, il a proposé que le tarif de la consultation soit de 200 F. Par ailleurs, la FMF défend aussi le dossier des honoraires en exigeant le maintien du secteur à honoraires libres (nous sommes les seuls à le faire) et en demandant que les consultations des médecins non conventionnés soient remboursées non pas sur la base du dérisoire tarif d'autorité (quelques francs), mais sur la base du tarif conventionnel. Quant à la réduction du temps de travail, aux 35 heures, c'est pour les salariés, pas pour les libéraux. Nos futurs confrères qui ont été formés à l'hôpital n'ont pas la même ardeur à exercer leur art que leurs aînés. Il va falloir que ces jeunes médecins se ressaisissent, qu'ils apprennent ce qu'est l'exercice libéral. Il faut leur dire qu'être des professionnels libéraux, ce n'est pas être des salariés. Que faire le choix de l'exercice libéral, c'est faire le choix de la responsabilité, c'est tirer un trait sur les 35 heures.
Insécurité : le gouvernement doit agir
De nombreux médecins sont aussi préoccupés par l'insécurité croissante, les agressions dont sont victimes certains de leurs confrères. Comment avez-vous réagi aux mesures annoncées avant l'été par le gouvernement ?
Pour l'instant, il n'y a pas encore eu de mesures concrètes. On attend de voir ce que donnera le groupe de suivi (des questions d'insécurité) présidé par le Pr Lebas et dont Bernard Kouchner et Claude Bartolone ont annoncé la constitution. Il faut que la profession s'organise pour faire face à ce problème. Il faut aussi que le gouvernement prenne des mesures. S'il ne fait rien, cela aura inévitablement des conséquences sur le problème de la continuité des soins, de la permanence des soins. Les maisons médicales sécurisées dont on parle (et qui ont déjà été créées dans certaines localités) ne peuvent résoudre qu'une partie du problème. Car lorsqu'un malade appelle un médecin, il faut bien qu'il se rende à son domicile ; tout ne peut pas se faire à la maison médicale. D'autant que, dans certaines affaires, la justice a précisément condamné les médecins pour ne pas s'être rendus au domicile des patients.
Vous n'avez pas ratifié le rapport du G7 parce que vous êtes hostiles à la suppression progressive du secteur à honoraires libres prévu par ce document. Est-ce que vous allez continuer à participer aux travaux du G7 ?
Nous avons effectivement une divergence sur le secteur à honoraires libres, mais nous voulons continuer à participer aux travaux du G7. Toutes proportions gardées, nous sommes un peu dans la situation de l'Angleterre qui n'a pas adopté l'euro, mais qui continue à participer aux travaux de l'Europe des Quinze.
Télétransmission : des sanctions inadmissibles
L'attitude de certaines caisses primaires d'assurance-maladie qui menacent de prendre des sanctions contre les médecins qui ne télétransmettent pas les feuilles de soins électroniques soulève l'indignation de la FMF. « Les médecins ont reçu dans certains départements, notamment les Alpes-Maritimes et la Savoie, des sommations à télétransmettre les feuilles de soins avant le 30 septembre, déclare le Dr Gras. Faute de quoi , les caisses indiquent qu'elles prendront des sanctions sous la forme d'une diminution ou d'une suspension de leur participation aux cotisations sociales et retraite de ces médecins. Et les caisses rappellent que cette participation représente en moyenne 50 000 F par an et par médecin. »
Pour le Dr Gras, ces menaces - que « le Quotidien » avait signalées dès le 28 mai - sont inadmissibles. La FMF reconnaît que les médecins qui ont accepté l'aide financière à l'informatisation (9 000 F) - aide qu'elle avait recommandé de ne pas solliciter - doivent télétransmettre. Mais, pour les praticiens qui ont refusé cette subvention et qui ont appliqué la consigne syndicale de boycott de la télétransmission, il ne doit pas y avoir de sanction, estime la FMF. Le syndicat du Dr Gras, qui a écrit aux présidents des caisses primaires qui menacent de pénaliser les médecins, estime, en effet, que l'on ne saurait poursuivre des praticiens pour application d'une consigne syndicale. En outre, selon le Dr Gras, il ne saurait être question d'infliger des amendes aux praticiens qui refusent de télétransmettre tant que certains problèmes techniques n'auront pas été résolus. « Or, fait-il remarquer, il y a des logiciels de télétransmission qui ne sont pas encore disponibles dans leur version euro et certaines spécialités ne disposent toujours pas de logiciels adaptés à leur activité. »
Enfin, le président de la FMF affirme qu'un médecin ne peut être sanctionné sans que les instances conventionnelles locales (commissions paritaires médecins-sécurité sociale) aient étudié son cas individuellement.
La Fédération des médecins de France, pour qui cette affaire constitue l'une des préoccupations essentielles de la rentrée, note au passage que les caisses qui ont pris de telles initiatives sont présidées par le Medef. Et elle se demande si le patronat « ne veut pas mettre la pagaille avant son départ des conseils d'administration des caisses ».
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