LE QUOTIDIEN - Comment abordez-vous ce troisième millénaire qui semble placé sous le signe des mégafusions, gage, disent certains, d'efficacité et de croissance ?
Dr JACQUES SERVIER - Notre philosophie reste constante : un laboratoire ne peut survivre que grâce à la recherche d'innovations qui sont en adéquation avec les besoins médicaux, avec le double objectif de répondre à l'attente des patients, qui souffrent d'affections bien définies, et des cliniciens qui les soignent.
Notre statut de laboratoire indépendant et notre volonté nous donnent une spécificité : nous ne nous détournons pas des projets de recherche de longue durée. Une satisfaction qui est de plus en plus interdite aux grands groupes soumis à toutes les pressions. On doit d'ailleurs s'interroger sur les conséquences de cette évolution, car les progrès accomplis depuis un siècle dans ce domaine auraient-ils été possibles avec des chercheurs essentiellement tournés vers le court terme ?
Un produit par an pendant cinq ans
Malgré tout, on juge un laboratoire au nombre de ses produits nouveaux. Quelles sont, à ce sujet, les perspectives de Servier ?
Nous nous donnons le temps de mener des recherches à long terme. Cela a pu conduire certains à s'interroger sur notre avenir. Je peux pleinement les rassurer dans la mesure où nous comptons lancer un médicament innovant par an, au cours des cinq prochaines années.
Cela a commencé avec Aérodiol, première forme d'estrogénothérapie pulsée par voie nasale. Nous attendons beaucoup également du S 16257 qui est un bradycardisant spécifique et sélectif et qui peut devenir un atout important dans la lutte contre les différentes formes d'ischémie myocardique.
Dans un tout autre domaine, le Protos représente une approche originale du traitement de l'ostéoporose : le produit a atteint la phase III, en 1996, avec notamment deux grands essais (SOTI et TROPOS) incluant près de 7 000 patients.
Enfin, on connaît la place de Servier dans la diabétologie française et mondiale. Cette place devrait être renforcée par l'apparition du S 21403 (appartenant à une famille particulièrement efficace sur les pics d'hyperglycémie précoce, en postprandial) et, à plus long terme, du S 15261.
Je pourrais également mentionner bien d'autres promesses, à plus ou moins long terme, dans les secteurs clés de notre recherche : affection du SNC (notamment dépression, psychoses et maladie d'Alzheimer), maladies cardio-vasculaires, cancérologie, obésité, arthrose...
Vous avez mentionné des grands essais cliniques internationaux. C'est une politique relativement nouvelle pour Servier ?
Non et d'ailleurs les résultats de l'étude PROGRESS (Perindopril protection against Recurrence Stroke Study) vont être prochainement présentés au Congrès de la Société européenne d'hypertension, à Milan. Cette étude d'une durée de 4 ans a été menée chez plus de 6 000 malades.
De même, l'an prochain nous aurons les résultats de l'étude Europa qui est la plus grande étude de cardiologie (portant sur plus de 10 000 patients) jamais réalisée en Europe.
Collaboration privé-public
Vous avez également intensifié vos collaborations avec la recherche publique ?
Effectivement et vous avez déjà eu l'occasion d'évoquer l'accord-cadre que nous avons récemment signé avec l'INSERM, afin de renforcer les actions communes et de faciliter les partenariats.
Je dois également mentionner nos nombreuses collaborations avec le CNRS, l'Institut des vaisseaux et du sang et de nombreuses universités françaises et étrangères. Nous n'avons pas changé dans ce domaine, mais c'est plutôt la recherche publique française qui a évolué, dans le bon sens, en tournant le dos à un vieux passé de dédain pour ce qui n'était pas recherche fondamentale et de méfiance à l'égard de la recherche privée ; cette mutation est relativement rapide mais elle est loin d'être achevée.
Une dimension internationale
Votre recherche et développement s'est également beaucoup internationalisé ?
Notre présence dans 140 pays et le fait que nous réalisions 75 % de nos ventes hors de France nous auraient obligatoirement conduits à l'internationalisation de notre recherche et développement. Mais je voudrais rappeler que, depuis toujours, nous avons cherché à collaborer avec les équipes les plus compétentes, dans tous les pays : dans ce domaine, nous n'avons rien à envier à personne, d'autant que nous ne négligeons aucun pays. C'est ainsi que nous avons développé très tôt des relations avec la Chine, que nous sommes restés en Russie au moment de la grave crise économique (alors que plusieurs grands groupes pliaient bagage), que nous n'avons jamais négligé l'Amérique latine, contrairement à de trop nombreuses entreprises françaises. L'inauguration prochaine de notre Centre international de recherche thérapeutique, à Rio de Janeiro, illustre cette volonté.
On peut mettre au compte de cette tendance ubiquitaire la volonté de « faire flotter le drapeau ». Je ne le nie pas, mais nous sommes, avant tout, des entrepreneurs et je pense que cette politique volontariste a porté ses fruits, en fidélisant le corps médical et en nouant des relations de très bonne qualité avec les responsables de ces pays. Nos ventes récentes illustrent bien ce que je viens de dire.
Une fusion, pour quoi faire ?
In fine,vous restez plus que jamais attaché à votre statut de laboratoire indépendant ?
Oui, d'autant que les succès de notre recherche montrent que l'on peut parfaitement innover en gardant une taille « humaine ». D'ailleurs, je ferai remarquer que nous ne développons que des molécules issues de notre propre recherche ; qu'en est-il des grands groupes réputés beaucoup plus efficaces ? Il est vrai que les développements sont de plus en plus coûteux, mais cela ne justifie pas à mes yeux, la création de mégastructures plus préoccupées de gestion financière à court terme que de recherche. Pour moi, le mouvement de fusion est un réflexe de peur, dont les résultats économiques sont évidents dans le court terme mais beaucoup moins dans la durée.
Enfin, je dirai que nous avons la mission de faire perdurer une industrie pharmaceutique authentiquement française et de contribuer à la défense d'une médecine française qui est trop souvent - et injustement - attaquée par des cercles influents. Osons rappeler qu'une enquête récente de l'OMS a placé la France à la première place mondiale pour la qualité globale du système de soins... Une étude dont on a trop peu parlé.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature