LE QUOTIDIEN - Pour quelle raison avez-vous signé la pétition de l'APGL protestant contre le refus d'agrément à l'adoption opposé à une femme vivant en couple homosexuel ?
LE Dr FREDERIC JESU - Ça fait trois ou quatre ans que j'accompagne l'APGL, ou que je suis sollicité par des mouvements similaires, en vue de développer une réflexion sur l'homoparentalité. Des adultes homosexuels qui élèvent des enfants, c'est un fait qui existe depuis longtemps. Et la loi sur le PACS, comme la procréation médicalement assistée, sont des éléments de conjoncture qui conduisent à se poser légitimement la question de l'adoption par ces couples. Aussi, en ce qui me concerne, j'entends participer au débat que cela soulève plutôt que de le laisser occulter. En tant, aussi, que militant des droits de l'enfant, j'ai œuvré à ce titre au sein de l'Institut de l'enfance et de la famille ; je me sens pleinement concerné.
Vos confrères Bernard Accoyer et Renaud Muselier, députés RPR, jugent, dans une proposition de loi déposée il y a un an, que « l'irrecevabilité de la demande d'adoption par des personnes du même sexe constitue la garantie des conditions d'un équilibre psychologique satisfaisant pour l'enfant ». Qu'en pensez-vous ?
Je pense qu'il s'agit d'une position personnelle, et non scientifique, rien ne permettant d'étayer leur assertion. La question de l'identification sexuelle de l'enfant ne se joue pas de façon aussi caricaturale. Ils récupèrent là un courant moraliste, avec une visée politicienne, mais ils ne sont pas soucieux des droits de l'enfant dont ils se prévalent. J'ajouterai que plusieurs études fiables réalisées aux Etats-Unis dans les années quatre-vingt-dix révèlent qu'il n'y a pas de troubles du développement de la personnalité chez les enfants élevés par des couples homosexuels.
Estimez-vous, en conséquence, que l'enfant n'a pas « besoin de la double relation père-mère pour découvrir et intérioriser sa propre identité » ?
Tous les enfants élevés dans des familles monoparentales, et cela touche près de 10 % de la population française, n'ont pas de troubles sexuels ou de l'identité. On sait qu'ils rencontrent, en revanche, plus fréquemment que d'autres, des difficultés en matière, notamment d'éducation et, comme pédopsychiatre, je suis souvent confronté au fait qu'ils n'ont qu'un référent parental. Dans un couple homosexuel, l'enfant peut compter sur deux référents parentaux.
En réalité, la position défendue par MM. Muselier et Accoyer me paraît dangereuse à terme. Ne pas reconnaître un état de fait, en l'occurrence des couples homosexuels avec enfants, risque de "clandestiniser" cette forme de famille, ou de conduire le postulant à l'adoption à passer sous silence son homosexualité.
La justice, de son côté, dans un arrêt du Conseil d'Etat du 9 octobre 1996, a rejeté l'homoparentalité, notamment dans le cadre des adoptions.
Je ferai remarquer que nombre d'enfants adoptables en France ne sont pas adoptés et grandissent en institutions. Alors, pourquoi ne pas leur ouvrir les portes de couples homosexuels ? Qu'est-ce qu'on préfère pour ces enfants-là ?
Et puis, j'insiste, la législation en vigueur sur l'adoption est tout à fait adaptée à l'homoparentalité. En effet, elle n'écarte pas les personnes célibataires en raison de motifs sexuels, politiques ou religieux. La loi stipule que l'agrément est accordé sur des critères psychologiques et éducatifs, et, que je sache, un homosexuel peut très bien y satisfaire. Je suis étonné par ces arrêts de justice, empruntant à des clauses idéologiques, non fondées scientifiquement. Ils sont porteurs, ni plus ni moins, de discrimination.
* Médecin chef par intérim de l'intersecteur de psychiatrie infanto-juvénile du Val-d'Oise.
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