En quoi vont exactement consister vos fonctions d'ingénieur de bord de la mission Andromède ?
Dr CLAUDIE HAIGNERE
J'occupe les fonctions d'ingénieur de bord en place gauche. Il s'agit d'une haute responsabilité, puisqu'elle recouvre le contrôle et la gestion de tous les systèmes vitaux du vaisseau pendant les phases dynamiques de la mission : la mise en orbite, les manuvres de correction orbitale, l'approche, l'amarrage et le désamarrage, puis la descente et l'atterrissage.
Neuf mois d'entraînement
En quoi a consisté votre entraînement à la Cité des Étoiles, près de Moscou ?
J'ai étudié de manière très détaillée tous les systèmes et j'ai effectué un travail intensif de simulations en équipage pour répéter toutes les situations non nominales. En dehors de ce qui concerne le vaisseau Soyouz, il a fallu aussi étudier la nouvelle station, l'ISS. Son segment russe, même s'il est dérivé de la station Mir que je connais bien, comporte des différences importantes, en particulier pour les systèmes informatiques de bord. Nous avons également étudié le segment américain de l'ISS, à l'occasion d'un voyage à Houston.
Ces neuf mois d'entraînement ont bien sûr comporté un entraînement physique régulier, des contrôles médicaux fréquents et un entraînement physiologique surtout concentré sur le dernier mois du vol (centrifugeuse, tabouret tournant, table orthostatique).
Mais, avec l'expérience, tout paraît naturel. C'est le cinquième entraînement que j'effectue et je me sens à l'aise avec la machine, avec mes fonctions. Il faut dire que je suis très entourée par un équipage sympathique, attentif et de haut professionnalisme. Il n'y a pas entre nous de barrière de langue et je pense avoir bien assimilé la culture russe. Je me sens en harmonie avec elle.
La configuration générale de l'ISS est beaucoup plus longitudinale que celle de Mir, où la configuration est multidimensionnelle autour d'un nud unique. Les modules et le laboratoire américain LAB sont agencés d'une façon tout à fait différente, avec en particulier pour le module LAB des installations scientifiques dignes des laboratoires terrestres les plus perfectionnés. Beaucoup d'ordinateurs y ont déjà été installés pour faciliter la mise en uvre des systèmes et des appareillages scientifiques qui vont faciliter le travail de l'équipage. Et bien sûr la station spatiale internationale est beaucoup moins encombrée que ne l'était Mir après plus de dix ans passés en orbite. On aura sans doute une impression d'ordre qui n'était pas évidente précédemment. Les moyens de communication avec le sol vont par ailleurs nous fournir une couverture pratiquement permanente ; la résolution des pannes et l'envoi des résultats vers la Terre vont s'en trouver sensiblement accélérés.
La station est habitée depuis près d'un an et je suis sûre que l'équipage résidant numéro trois nous aidera énormément à vivre et à travailler à bord dans les meilleures conditions possible.
Des expériences très diverses
Quelles sont les particularités de la mission Andromède sur le plan scientifique ?
La principale originalité de notre mission réside dans la couverture de domaines scientifiques très divers avec un nombre important de fonctions automatisées. Dans le domaine des sciences de la vie, le programme de physiologie va couvrir les deux systèmes immédiatement perturbés par l'environnement de microgravité : le système cardio-vasculaire et le système neurosensoriel. L'expérience Cardiolab a pour objectif d'analyser précisément le rôle de la balance sympathique-parasympathique dans les régulations de la pression artérielle en utilisant le système PortaPress d'enregistrement de la pression systolique et diastolique à chaque battement cardiaque au bout du doigt. Au-delà de cette expérience, il y a un projet de développement en coopération avec nos partenaires russes d'un laboratoire d'exploration cardio-vasculaire et de diagnostic, le CardioMed, qui est destiné à être, à terme, le laboratoire de suivi opérationnel des cosmonautes russes à bord de l'ISS. Dans le domaine neurosensoriel, l'expérience Cogni est centrée sur l'analyse des fonctions cognitives dans des tâches d'orientation et de navigation quand les repères spatiaux sont fondés sur un espace tridimensionnel et non plus sur un mode de fonctionnement plan comme cela est le cas sur Terre.
Le programme de biologie se concentre pour sa part sur la biologie du développement (Aquarius), en embarquant des embryons de xénopes et de pleurodèles pour étudier le développement de l'appareil vestibulaire sur le plan fonctionnel et morphologique dans les phases précoces de développement.
Toutes ces expériences sont accompagnées d'un versant pédagogique à destination des écoliers et des étudiants qui auront à intervenir ensuite dans le dépouillement et l'analyse des données recueillies.
Dans le domaine des sciences physiques, il y a une expérience PKE d'analyse du comportement des poussières dans un plasma et une expérience OCP de cristallisation des protéines. Toutes deux ont une visée fondamentale, mais nous gardons toujours à l'esprit l'application au sol dans l'industrie et les biotechnologies.
L'analyse du comportement et de l'environnement spatial (radiations ionisantes) de composants électroniques est également un thème cher à nos laboratoires spatiaux. Il va être reconduit sur l'ISS.
Dans le domaine des sciences de la Terre, enfin, deux expériences vont être réalisées qui viseront à compléter ou à préparer les données recueillies par les satellites automatiques, des données qui sont sous forme de vidéos et de photos : étude des « sprites », des éclairs qui déchargent vers la haute atmosphère, mais aussi dans d'autres spectres d'énergie, avec des phénomènes aujourd'hui mal connus d'interaction entre l'atmosphère et l'ionosphère. L'expérience Imedias consistera à prendre des vues d'éléments évolutifs (déforestation, désertification, état des deltas des grands fleuves, urbanisation) ainsi que d'événements ponctuels (aérosols atmosphériques, feux de biomasse, etc.) Nous pourrons ainsi compléter à une autre échelle les données habituellement obtenues par les satellites automatiques d'observation de la Terre.
A côté de ce travail scientifique, il y aura bien sûr une part opérationnelle importante liée à ma fonction d'ingénieur de bord du vaisseau, pendant la phase d'amarrage comme dans le déroulement de la mission à bord. Ce rôle opérationnel est essentiel pour une mission taxi : nous livrons à l'équipage résidant un vaisseau Soyouz neuf, qui constitue la chaloupe de secours de l'équipage en cas d'évacuation d'urgence (feu, dépressurisation, problèmes de santé).
Comprendre les remaniements cognitifs
Quel enseignement les médecins peuvent-ils escompter de la mission Andromède ?
Pour les médecins comme pour les chercheurs en général, cette mission doit être considérée comme une possibilité de travailler à bord d'un laboratoire orbital dès les premières années de son assemblage. La France a acquis sur le plan technique et scientifique une expertise considérablement qui est aujourd'hui mondialement reconnue dans les programmes sur la microgravité. Il était important à cet égard que les communautés française et européenne bénéficient d'une continuité dans les opportunités de vol, de manière à garder en particulier la motivation des jeunes chercheurs qui sont souvent les piliers de ces programmes.
L'ISS constitue un projet international qui implique une coordination dans les programmes de recherche, l'utilisation et la diffusion la plus large possible des résultats et, pour tous, la préoccupation d'analyser à chaque étape du projet l'indispensable interaction avec la recherche classique au sol, la recherche médicale en particulier.
La complexité des processus de la régulation de la pression artérielle tant dans le sens des hypertension que des hypotensions artérielles justifie d'affiner l'approche expérimentale dans la mesure où l'orthostatisme et donc la force de gravité par le gradient de pression hydrostatique jouent un rôle important. Dans le domaine des sciences de la cognition, il est bien évident que les représentations spatiales qui gouvernent perception et action au sol ont été construites en tenant compte de l'influence permanente de la gravité terrestre et des forces et des directions qu'elle représente. Comprendre les remaniements cognitifs qu'impose un séjour en microgravité ouvre un champ d'étude d'une extrême richesse pour tous les neurophysiologistes. D'autant plus qu'ils sont complétés par des études de biologie du développement justement centrées sur le système vestibulaire, otolithique en particulier.
Au-delà des étonnantes capacités d'adaptation du corps humain à un environnement fondamental différent de l'environnement terrestre, on est presque amené à s'interroger sur la préexistence de ces schémas, qui étaient restés jusqu'à présent masqués. Les capacités de régulation des expressions génétiques nous ont déjà réservé bien des surprises. Mais il y a tellement d'attrait et de mystère dans l'exploration de l'espace qu'il me plaît parfois d'y voir des révélations démasquées, plutôt que des adaptations.
En tout cas, notre présence dans l'espace en tant qu'être humain d'abord, puis spécifiquement en tant que médecin ou chercheur est une évidence pour moi. Elle est tout simplement l'affirmation d'une humanité en quête de connaissance et de progrès, qui a su préserver la valeur essentielle du rêve et qui construit activement son avenir.
Sa deuxième mission dans l'espace
Membre du corps européen des astronautes, Claudie Haigneré avait effectué sa première mission dans l'espace en 1996 sous le nom de Claudie André-Deshays. Avec la mission Andromède, qui a été décidée après un accord passé entre le Centre national d'études spatiales (CNES) et l'agence spatiale russe Rosaviacosmos, elle va réaliser son deuxième vol spatial et devenir le premier astronaute européen à séjourner à bord de la station spatiale européenne.
Elle a suivi un entraînement de neuf mois à la Cité des Étoiles, près de Moscou, en compagnie de ses deux équipiers russes, Victor Afanassiev (commandant de bord) et Constantin Kozeev (autre ingénieur de bord).
Andromède est le huitième des vols habités impliquant des astronautes français. L'optimisation des moyens, la réactivité dans les mises en uvre facilitent la programmation de ces vols dits taxis.
La durée de la mission n'est que de dix jours. Deux jours seront nécessaires pour rejoindre l'ISS et procéder, sous la responsabilité de Claudie Haigneré, à l'amarrage du Soyouz. La remise en état des modules avant retour prendra une journée. Il restera donc sept jours pleins seulement pour mettre en action les expériences embarquées.
Car si Andromède a d'abord un objectif opérationnel, celui de la fonctionnalité de l'ISS, l'objectif scientifique n'en est pas moins important. Le matériel expérimental se trouve déjà en grande partie à bord de la station, où il a été emporté par deux vaisseaux automatiques Progress lancés les 21 août et 15 septembre derniers.
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