L'annonce, la semaine dernière, qu'une information judiciaire était ouverte contre lui pour empoisonnement avec préméditation, après le débranchement de Vincent Humbert, le jeune tétraplégique auquel sa mère avait administré des barbituriques, lui a tout d'abord fait l'effet d'un coup de massue. « Pendant vingt-quatre heures, rappelle le médecin-chef du service de réanimation du centre héliomarin de Berck-sur-Mer (Pas-de-Calais), toutes les radios ont répété en boucle que je risquais la réclusion criminelle à perpétuité. »
Ce « coup sur la tête » n'était pas le premier qu'il ait reçu. Lorsqu'il avait été convoqué, le mois dernier, au commissariat de police de Berck-sur-Mer, le lendemain de la cérémonie d'enterrement de Vincent Humbert, l'officier de police judiciaire lui avait asséné le premier coup, le laissant « effondré » alors qu'il était entendu comme simple témoin : après avoir décliné son état civil, à la question : « Avez-vous un casier judiciaire ? », il avait répondu par la négative et s'était entendu rétorquer : « Vous commencez très fort, avec un assassinat ! »
Quelques jours plus tôt, consigne avait été publiquement donnée par la chancellerie d'instruire le dossier « avec la plus grande humanité ».
De fait, Marie Humbert, pendant sa garde à vue, avait pu se rendre au service de réanimation avant que le respirateur de son fils ne soit débranché. La sous-préfète de Montreuil l'accompagnait avec toutes les attentions dues à une mère dans l'épreuve. Et l'incrimination retenue contre elle, un mois après, « administration de substances toxiques commises avec préméditation et sur personne vulnérable », l'expose à cinq ans de prison, sans mesure de sûreté, ni placement sous contrôle judiciaire.
Un sort qui, constate le chef de service, « présente une distorsion énorme avec la manière dont j'ai moi-même été traité ». Humanité sélective, somme toute, selon qu'il s'agit d'une mère ou d'un médecin qui, proteste le Dr Chaussoy, « n'a fait que (son) boulot, avec des gestes humains et compassionnels, dans le seul but de soulager un patient et sa famille ».
Le réanimateur considère qu'il est tombé dans un guet-apens : « Je suis arrivé en bout de course dans une affaire ultramédiatisée où j'ai agi en plein accord avec l'équipe médicale et soignante, à la demande réitérée de la famille ainsi que celle de l'intéressé, ce qui est exceptionnel en pareil cas, en parfaite conformité avec le code de déontologie. »
Le Dr Chaussoy est d'autant plus « choqué » par la qualification retenue à son encontre que les médecins du centre héliomarin avaient alerté le parquet à plusieurs reprises, encore le jour même du passage à l'acte de Mme Humbert, sans obtenir de sa part la moindre réaction.
Quant à lui, il refuse d'être étiqueté comme un militant de l'euthanasie, et se garde soigneusement d'être récupéré par les groupes de pression en mal de réforme législative.
Tout juste s'autorise-t-il à approuver les recommandations du rapport Hennezel (« le Quotidien » du 17 octobre) : explicitation de l'article 37 du code de déontologie sur les bonnes pratiques médicales et information des juges à leur sujet.
Bravo et courage
Traité un jour de barbare et de nazi par des correspondants anonymes, voire par des responsables politiques, aujourd'hui soutenu par l'Ordre des médecins, la direction du centre héliomarin et la presse médicale, le Dr Chaussoy voit affluer tous les jours des centaines de lettres à son bureau. Mardi, il en totalisait plus de 1 500. « Des courriers envoyés par des correspondants de toute la France, de tous les milieux sociaux, pas seulement des professionnels de la santé, et qui disent tous en substance la même chose : bravo et courage. C'est très impressionnant. »
Et très réconfortant.
Installée dans une maison tranquille à la campagne, avec cinq enfants et leur mère au foyer, Marie-Christine, la famille Chaussoy fait bloc, alors que des familles de soignants de Berck ont parfois connu des tiraillements internes.
« On ne parle que de l'affaire à la maison, note Frédéric Chaussoy. C'est très difficile de faire le vide... Je ne dors pas beaucoup. Avant, notre devise, c'était pour vivre heureux, vivons cachés... »
Les Chaussoy aspirent à présent à quelques jours de vacances. Le planning serré du centre héliomarin ne leur a pas encore permis de prendre le temps de changer d'air.
Quant au dénouement judiciaire de la fin de vie de Vincent Humbert, le médecin se déclare serein et, à l'instar du Conseil national de l'Ordre des médecins, affiche sa « totale confiance dans la justice de (son) pays ».
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