ENTRÉ LIBRE à 10 heures dans le bureau de la doyenne des juges d'instruction de Boulogne-sur-Mer, Anne Morvant, le Dr Frédéric Chaussoy en est sorti libre trois quarts d'heure plus tard, après s'être vu notifier sa mise en examen pour « empoisonnement avec préméditation ».
Libre et libéré : depuis l'ouverture, il y a deux mois et demi, d'une information judiciaire qui l'expose, en cas de condamnation, à la réclusion criminelle à perpétuité, le chef du service de réanimation du centre héliomarin de Berck-sur-Mer était inquiet. « Comment ne pas l'être, confie-t-il au « Quotidien » à sa sortie du palais de justice, quand on se retrouve pour la première fois en vingt-cinq ans de pratique médicale face à un juge d'instruction, exposé à une médiatisation et à une sanction pénale records ? »
« J'étais très impatient », poursuit le médecin, qui a reconnu « avoir administré du Nesdonal et du chlorure de potassium à Vincent Humbert, avant de débrancher le respirateur ».
« Je souhaitais pouvoir, non pas me justifier, mais m'expliquer devant la magistrate. Sans entrer dans le fond du dossier, l'audition, qui est restée de pure forme procédurière, s'est très bien déroulée, sur un mode humain et respectueux », se félicite le chef de service.
La veille déjà, Marie Humbert avait été entendue par la juge Morvant, qui lui avait signifié sa mise en examen pour « administration de substances toxiques », un délit passible de cinq ans de prison. La mère de Vincent Humbert avait elle-même exprimé son « soulagement » à l'issue d'une audition qui lui avait permis de se « libérer un petit peu », formulant l'espoir que la justice sera « clémente » à son endroit.
Reconnaissance envers les médecins.
Pour sa part, dans « le long combat judiciaire » qui l'attend maintenant, le Dr Chaussoy, qui avait répondu à de nombreuses sollicitations médiatiques à la veille de son audition, a décidé de s'en tenir rigoureusement à la règle du secret de l'instruction, « pour manifester (son) respect pour l'institution judiciaire et éviter au magistrat instructeur de subir les pressions de l'opinion publique. »
S'il déroge toutefois à cette règle pour « le Quotidien », c'est, explique-t-il, parce qu'il « éprouve le besoin d'exprimer (sa) reconnaissance envers les médecins qui (lui) ont apporté leur soutien. Je leur dis merci de tout mon cœur car j'ai pu traverser, grâce à leur aide, des moments très difficiles. Je n'ai personnellement pas sollicité ce mouvement de solidarité et je me garderai bien de le faire par la suite, je n'ai pas à haranguer les confrères, même si d'autres moments délicats ne manqueront sans doute pas de survenir à l'avenir ».
Frédéric Chaussoy ne cache pas le réconfort qu'il puise dans l'adhésion du public, au-delà du corps médical : « Même dans les rues, tous les jours, même de la part de fonctionnaires de police que je croise dans les administrations, cet élan de sympathie me touche beaucoup, souligne-t-il. C'est précieux alors que j'entre dans une instruction qui risque d'être longue. C'est un combat où j'ai bien l'intention de me battre sans que tout soit focalisé sur la dernière scène du dernier acte de l'histoire qui a conduit à la mort de Vincent Humbert. »
Droit pénal et droit médical.
« Manifestement, c'est la poursuite maximale qui a été retenue, a cependant déploré Me Bernard Lebas, l'un des avocats du médecin réanimateur, dénonçant ce qui lui paraît relever d' « une erreur de droit assez fondamentale, dans la mesure où l'on se fonde sur le droit pénal général, alors que nous sommes ici en droit pénal spécial, qui est le droit médical ».
Cette qualification aura contribué à attiser l'ardeur des pétitionnaires qui, à l'invitation notamment du député (PS), Philippe Vuilque, ont pris fait et cause pour le médecin de Berck. « Nous en comptons aujourd'hui plus de 2 000, que nous allons envoyer au juge, précise l'élu des Ardennes. De sensibilités politiques diverses, ils refusent qu'on reste plus longtemps dans un système judiciaire parfaitement hypocrite. »
Cette hypocrisie, nombreuses sont les voix qui la dénoncent. Dans un récent communiqué adopté à l'unanimité par l'Académie nationale de médecine, le Pr Denys Pellerin, dénonçant tout à la fois l'acharnement thérapeutique et toute dépénalisation éventuelle de l'euthanasie, s'en prend ainsi au système judiciaire (voir encadré). « Les jurés vont être dans l'obligation de répondre par la négative aux questions posées sur la réalité de faits parfaitement avérés, explique au "Quotidien" le Pr Pellerin . Ce sera le seul moyen possible pour eux s'ils veulent, rejoignant le souhait du ministre de la Santé, éviter que le Dr Chaussoy soit puni. Face au vide juridique actuel qui entoure l'euthanasie, l'Académie souhaite donc que le terme d'assistance au suicide ou d'euthanasie soit inscrit dans la loi, reconnu et codifié. »
Des experts comme le Pr Jean-Michel Bolz, qui préside la Société des réanimateurs de langue française (Srlf), rappellent que « l'affaire Humbert est un cas d'école ». « Il faut se garder, souligne-t-il , de tout amalgame entre l'instruction de ce dossier très particulier, qui suit maintenant son cours, et la question, sans rapport, telle qu'elle est vécue au quotidien dans les services de réanimation. Ce n'est pas l'affaire Humbert qui doit poser la question d'une éventuelle loi sur l'euthanasie. »
C'est pourtant bien cette affaire qui est à l'origine de la création, le 15 octobre dernier, d'une mission parlementaire consacrée à l'accompagnement des fins de vie. « Après avoir auditionné des personnalités issues des mondes médical, philosophique et religieux, explique le Dr Jean Leonetti, président-rapporteur (UMP), nous sommes tombés tous d'accord sur le fait qu'il y aurait un danger à lever le tabou sur le "Tu ne tueras point", mais qu'il y a aussi un danger dans l'absence actuelle de dialogue et les experts capables d'apprécier les pratiques, bonnes ou mauvaises, et les juges qui sont chargés des mises en examen. Notre réflexion vise maintenant à proposer une harmonisation entre le code pénal, le code de santé publique et le code de déontologie médicale ; il s'agit de faire en sorte que les bonnes pratiques soient libérées des peurs de la justice et que les mauvaises pratiques qui échappent aujourd'hui aux tribunaux soient réprimées. »
A l'évidence, l'affaire Humbert et le cas du Dr Chaussoy soulignent l'urgence de l'entreprise.
L'Académie de médecine face au « vide juridique »
Les membres de l'Académie de médecine ont adopté récemment à l'unanimité un communiqué préparé par le Pr Denys Pellerin à propos de l'euthanasie. Après avoir redit leur « opposition à tout acharnement thérapeutique » comme à « toute disposition qui viserait à dépénaliser l'euthanasie et l'assistance au suicide, son équivalent », ils ont noté « le vide juridique actuel et constaté que le terme même d'euthanasie ne figure dans aucun texte législatif ou réglementaire, observant que, de ce fait, un acte d'euthanasie est assimilé à un assassinat, dès lors qu'il ne peut être prémédité. »
L'Académie souhaiterait que « le législateur, s'il devait se saisir de la question, en dépit des risques que comporte l'approche législative d'un sujet si sensible,le terme d'euthanasie (de même que l'assistance au suicide) soient inscrits dans la loi au même titre que les termes de meurtre et d'assassinat. Dès lors, l'acte d'euthanasie serait bien reconnu pour ce qu'il est, transgression et crime, mais cependant d'une autre inspiration qu'un meurtre ou un assassinat. »
L'indulgence de Mattei et le soutien de Le Guen
« Ce cas (le cas Humbert, ndlr) présente un peu la caricature de la réponse de notre société à la souffrance humaine et je n'accepte pas le terme d'assassinat », a estimé Jean-François Mattei, interrogé sur France 2. « Il y a une interdiction qui nous vient du fond des temps, a rappelé le ministre de la Santé, "Tu ne donneras pas la mort". Pendant très longtemps, on a appliqué cela d'une manière aveugle. (...) Mais les choses ont changé au fil du temps, la loi, elle, n'a pas changé, elle donne des repères stricts. »
« Je ne crois pas qu'il y ait beaucoup de Françaises et de Français qui souhaitent qu'ils (le Dr Chaussoy et Marie Humbert) soient punis », a conclu le ministre.
De son côté, le député (PS) du Pas-de-Calais, Jean-Marie Le Guen, a estimé que le Dr Chaussoy est « traité de façon indigne parce que notre pays n'a pas le courage d'affronter avec responsabilité les conditions nécessairement nouvelles de notre regard sur la liberté de vivre ou de mourir ». Le Dr Le Guen a exprimé à son confrère sa « compréhension », sa « solidarité » et son « soutien ».
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