LE QUOTIDIEN
Les spécialistes reprennent le flambeau du conflit avec une vague d'actions en septembre. La CSMF n'accordera donc aucun répit à Jean-François Mattei ?
Dr Michel CHASSANG
Ce n'est pas ainsi que les choses se passent. Le mouvement de contestation, historique, des médecins de famille a eu un tel retentissement médiatique qu'il a occulté les difficultés énormes des spécialistes, notamment ceux qui exercent dans les disciplines cliniques et en secteur I. Aujourd'hui, le conflit des généralistes étant partiellement résolu, il est normal que ces difficultés reviennent à la surface.
Les spécialistes n'ont pas de système conventionnel, ce qui les a pénalisés financièrement, et leurs tarifs, en particulier les actes de consultation, n'ont pas été revalorisés depuis 1995, un record dans l'histoire conventionnelle. Par ailleurs, certains spécialistes subissent une augmentation exponentielle des primes d'assurance en responsabilité civile, ce qui aggrave leur situation (voir encadré). Bref, les spécialistes se sentent oubliés par l'histoire et il est légitime qu'ils expriment leur désarroi. La CSMF appuiera de toutes ses forces les actions qui commencent dans les jours qui viennent.
Quelle forme ces actions prendront-elles ?
Les ophtalmologues organiseront par exemple une journée santé noire, avec l'organisation du dépistage gratuit du glaucome. Je conseille à chaque discipline d'organiser des mouvements originaux et symboliques, sans tomber systématiquement dans la bonne vieille grève classique... La rentrée sera donc chaude, mais ce n'est pas pour autant un carton rouge pour le gouvernement.
Risque de surenchère
Le pacte de confiance que souhaitait conclure Jean-François Mattei avec les médecins reste-t-il d'actualité ?
Indiscutablement, la suppression des dernières scories de la maîtrise comptable, à savoir les lettres clés flottantes, la levée des pénalités financières pour les spécialistes de secteur I, la suppression des comités médicaux régionaux, l'ouverture de chantiers pour refondre le statut du médecin libéral et les accords de revalorisation pour les généralistes ou les pédiatres vont dans le bon sens. Mais la situation reste explosive et la santé est un champ de ruines. La contestation des spécialistes est un mouvement où la surenchère aura sans doute sa place mais ça n'est pas un mouvement corporatiste. Il s'agit d'une mobilisation pour sauver la médecine spécialisée libérale menacée de disparition.
Votre exigence d'une enveloppe d'un milliard d'euros pour les honoraires des spécialistes a-t-elle eu un écho quelconque ?
Il semble qu'on ne prêche plus dans le désert. Dans les discussions qui sont en cours avec l'assurance-maladie, l'idée de mettre en place une nouvelle hiérarchisation des consultations à trois ou quatre niveaux dans un avenir très proche, c'est-à-dire au début de l'année prochaine, fait son chemin. Elle est désormais envisageable aussi bien par l'assurance-maladie que par le gouvernement. En tout cas, la CNAM accepte de négocier sur ce sujet même si nous n'avons pas abordé les chiffres. Je rappelle que nous souhaitons une consultation à 23 euros pour le niveau 1, 30 euro pour le niveau 2 et 50 euros pour le niveau 3. Ce schéma est pour nous une priorité.
Pour les généralistes, c'est la question de l'avenir de la permanence des soins qui reste cruciale.
Le mouvement des médecins de famille n'est pas stoppé, il n'est que suspendu. La grève des gardes peut reprendre à tout moment. Ce qui est acquis, c'est le C à 20 euros et, au premier octobre, la visite à 30 euros, même s'il reste à en négocier certaines modalités. Mais plusieurs autres dossiers essentiels sont en jachère : la garde et la permanence des soins, la démographie, la FMC, le statut fiscal et social du médecin. Nous ne sommes pas pessimistes mais le gouvernement doit être conscient, effectivement, de la révolution des mentalités qui s'est produite dans le domaine de la permanence des soins. Plus rien ne sera jamais comme avant. L'article 77 du code de déontologie qui prévoit l'obligation de garde est obsolète. On ne pourra plus obliger les généralistes à travailler le jour et la nuit, la semaine et le week-end. Si nous ne trouvons pas de terrain d'entente, le mouvement reprendra. C'est très clair.
La CNAM et les syndicats entament un marathon conventionnel qui doit se conclure avant la fin de l'année. Dans quel état d'esprit l'abordez-vous ?
La CSMF revient, pour la première fois depuis longtemps, dans le jeu de la négociation. Nous avons la meilleure volonté du monde mais nous ne négocierons pas n'importe quoi et, surtout, nous ne signerons pas n'importe quoi. Nous fixons trois conditions. Nous voulons une convention unique pour l'ensemble de la profession médicale. Tant que je serai là, la CSMF ne signera pas de convention spécifique, pas plus pour la médecine de famille que pour la médecine spécialisée. Cela n'exclut pas des volets spécifiques par grand type d'activité, par exemple pour les plateaux techniques, les actes cliniques ou l'hospitalisation privée. Deuxièmement, nous voulons parvenir à une vraie valeur des actes médicaux. Là encore, il n'y aura pas de convention signée avec une valeur misérable des actes. Je rappelle que nous avions fixé pour exemple, dans le cadre des travaux du « G7 », la consultation du médecin généraliste à 30 euros, en y intégrant la prise en charge des cotisations d'assurance-maladie, la FMC, etc. Cela signifie que la valeur des actes reste ridicule dans l'échelle des services actuellement.
Enfin, il faut revenir à une optimisation médicalisée des dépenses d'assurance-maladie, avec de nouveaux outils, dans un nouveau climat. A ces conditions, nous signerons.
Quelle responsabilité les médecins libéraux sont-ils prêts à assumer ?
La CSMF est consciente que tout système a besoin d'être régulé. En ce qui concerne l'engagement des généralistes et des pédiatres en matière de prescriptions, les accords sont signés, ils seront respectés. La CSMF demande à chaque médecin de prescrire le plus possible, en fonction de chaque malade, en génériques ou en DCI. Nous n'avons pas voulu de quotas individuels, mais chaque médecin doit se sentir responsable du contrat signé par les syndicats. Il y va de la crédibilité de notre profession. Sur le terrain, j'ai pu constater que la plupart des médecins sont prêts à participer à cet effort et je suis assez optimiste quant aux résultats.
Les références médicales opposables seront-elles un élément central de cette maîtrise médicalisée ?
L'optimisation des dépenses d'assurance-maladie devra prendre une autre forme que par le passé. En clair, si les références médicales opposables ont rendu service, elles sont peut-être aujourd'hui à revoir. Je crois beaucoup plus aux accords collectifs de bon usage des soins, par exemple, l'utilisation du streptotest dans l'angine. Je crois également davantage à la coordination des soins via le dossier médical qu'aux RMO.
Droit partiel au dépassement
Voulez-vous négocier de nouveaux espaces de liberté tarifaire ?
Il est certain que si on refuse de revaloriser les actes médicaux, on ne pourra demander à la profession de rester dans le cadre de tarifs opposables, ce qui veut dire l'autorisation de la liberté d'honoraires. Je précise que, pour la CSMF, le secteur II généralisé n'est pas la panacée car la capacité de financement des Français n'est pas élastique à l'infini. Je préfère parler d'espaces de liberté individuelle. Plutôt que d'autoriser certains médecins au dépassement tarifaire pour toute leur activité, je préférerais qu'on mette en place des mécanismes permettant à tous les médecins de bénéficier de cette liberté tarifaire pour une partie de leur activité, qui reste à définir. C'est l'espace de la négociation qui s'ouvre.
La commission des comptes de la Sécu va confirmer le déficit du régime général en 2002 et la situation critique de la branche maladie. Quant à l'Objectif national de dépenses d'assurance-maladie pour 2002, il sera largement dépassé. Comment sortir de ce cycle ?
Si on avait fixé un ONDAM à 11 %, on aurait fait des économies ! En fixant un ONDAM pifométrique, sachant très bien qu'il était impossible de le tenir, on s'exposait forcément à un dépassement. La détermination strictement budgétaire de l'ONDAM, sans évaluation des besoins de santé, a montré toutes ses limites. Il faut revenir à un objectif non opposable, fixé en fonction de critères médicaux. Il va aussi falloir s'habituer au fait que les dépenses de santé et d'assurance-maladie ont vocation à augmenter. Penser le contraire est une hérésie. Lorsque les dépenses pour le téléphone portable croissent de 20 % par an, tout le monde s'en réjouit. Quand les dépenses d'assurance-maladie se développent au rythme de 7 %, on hurle au scandale.
Le mystère des IJ
Que pensez-vous de l'explosion du poste des indemnités journalières ?
Je suis extrêmement préoccupé par la valeur globale et le taux d'évolution de ce poste. Le montant des indemnités journalières (IJ) versées par l'assurance-maladie aux patients représente plus de la moitié de la valeur totale des honoraires médicaux et dentaires, ce qui est colossal, et le rythme d'augmentation (en tendance annuelle) est proche de 16 %. Quand on regarde attentivement, on s'aperçoit que ce ne sont pas les arrêts de travail de courte durée mais de longue durée, et en fin de carrière, qui explosent. L'arrêt maladie est donc devenu un substitut de la retraite anticipée pour les patients et je m'interroge quant à la part sociale et médicale des IJ. J'appelle à la plus grande vigilance et je pense qu'il y a là un gisement d'économies important.
Qu'attendez-vous du PLFSS 2003 ?
J'ai l'impression que ce sera un texte de transition mais je crois que la marque du nouveau gouvernement sera perceptible. Certains éléments peuvent voir le jour de façon concrète dans ce projet de loi, et notamment tout ce qui touche aux mécanismes de maîtrise et à la fixation de l'ONDAM. J'encourage en tout cas vivement le gouvernement à ne pas attendre car le temps presse.
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