LE QUOTIDIEN
Pour obtenir des revalorisations d'honoraires, les généralistes font la grève des gardes depuis plus d'un mois. N'y a-t-il pas un risque de lassitude ?
Dr DINORINO CABRERA
Quand un mouvement dure plusieurs semaines, il y a toujours un risque de découragement. Mais en l'occurrence, ce n'est pas le cas, c'est même l'inverse qui se produit. Les dernières réquisitions qui ont été prononcées, en Vendée par exemple, montrent que le nombre de secteurs en grève augmente. Comme nous avons demandé aux généralistes d'obéir aux réquisitions, le mouvement n'est pas toujours très visible, même s'il y a une saturation dans les centres 15. Mais les Français commencent à comprendre que les généralistes, pour assurer l'urgence et la veille téléphonique, sont réquisitionnés dans le cadre d'un « travail obligatoire », ce qui évoque une autre époque de notre histoire. Chacun comprend aussi que l'organisation des gardes et de la permanence des soins doit être revue.
Nous nous doutions de l'attitude de la caisse ; c'est pourquoi nous nous sommes adressés directement au gouvernement. Je rappelle au passage que le « G7 » (1), où il y a quand même quatre syndicats de salariés, a jugé que le juste tarif de la consultation généraliste était de 30 euros (196,79 F). On en est loin. Il est vrai que le gouvernement a ponctionné la Sécu pour financer les 35 heures et que cet argent manque aujourd'hui pour mieux rémunérer les médecins qui, eux, font 60 heures par semaine. C'est une spoliation. Aujourd'hui, c'est vrai, il n'y a aucune négociation ouverte. Je n'ai jamais vu un ministre en exercice si peu ouvert au dialogue. Mais on va continuer à se battre et il y aura de nouvelles actions en janvier.
Le mécontentement des spécialistes
L'Union nationale des médecins spécialistes confédérés (UMESPE-CSMF) exige une forte revalorisation des lettres clés des spécialistes avant le 15 février, faute de quoi elle donnera des consignes de grève. Partagez-vous cette stratégie ?
Je ne vais pas faire de surenchère mais, dès le 29 novembre, j'ai écrit à Elisabeth Guigou pour exiger l'ouverture de négociations tarifaires avec les spécialistes, qui n'ont pas de convention, et qui sont directement sous tutelle ministérielle par le biais du règlement conventionnel minimal. Je n'ai pas eu de réponse. J'avais annoncé dans ce courrier qu'il fallait s'attendre à de sérieuses actions de contestation de la part des spécialistes. Le temps de la riposte va venir. Dès l'année prochaine, il y aura obligatoirement une montée en charge du mécontentement des spécialistes dont les tarifs sont bloqués depuis des années ou, dans certains cas, ont même diminué. Tout cela s'inscrit dans le cadre d'une mobilisation progressive et continue du corps médical. Il y a eu d'abord l'action des généralistes car leur situation est particulièrement préoccupante. Mais l'exaspération générale est en train de monter, la sauce commence à prendre.
Je conteste les chiffres de la CNAM. Il est vrai que de plus en plus de médecins sont en mesure de télétransmettre à cause de certaines pressions inadmissibles des caisses, notamment sur les spécialistes en secteur I. Mais cela ne veut pas dire pour autant que les médecins équipés télétransmettent de façon régulière. Sinon, pourquoi y aurait-il cet acharnement à poursuivre les récalcitrants ? La réalité, c'est qu'il n'y a pas autant de feuilles de soins télétransmises que les caisses le voudraient et que la montée en charge de la télétransmission est freinée.
Pas de vraies négociations
Plusieurs syndicats ont lancé un mot d'ordre d'application large du dépassement d'honoraires (DE) pour compenser le blocage des tarifs. Est-ce satisfaisant ?
Non. Je préférerais de vraies négociations tarifaires et un accord. Mais actuellement, il n'y a aucune issue. Dans le cadre de la convention généralistes, MG-France reconnaît qu'il n'obtient que des broutilles et, pour le reste, il n'y a pas de discussion avec le ministère. Le DE permet aussi de tester la colère des médecins et leur capacité de mobilisation. Si ils se permettent une certaine liberté tarifaire, cela signifie qu'ils sont prêts à aller plus loin.
C'est vrai, leur diversité les dessert. J'ajoute que quand les libéraux se lancent dans une grève des soins, c'est à fonds perdus. Beaucoup de cabinets ne peuvent se permettre le luxe d'une grève dure dans le contexte actuel. Par ailleurs, dans les régions, beaucoup de médecins ne veulent pas sacrifier leurs patients et c'est tout à leur honneur. Le rôle social, et de proximité, du médecin bloque parfois l'action. Mais sur la durée, notre combat sera positif.
L'objectif de toute cette action contestataire, qui est en train de monter en puissance, c'est d'arriver à peser dans la campagne. Je réclame à cette occasion un débat de société sur la place du médecin libéral. En tout cas, ce que les médecins n'auront pas obtenu, les politiques le retrouveront en boomerang dans la campagne. Le PS a peut-être des comptes à régler avec les médecins, mais il ne faut pas qu'il s'attende à les régler comme ça.
(1) Ce groupe de travail regroupe la CSMF, le SML, la CGT, FO, la CFTC et la CFE-CGC. La FMF est désormais en marge du G7.
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