A 40 ans, le Dr Philippe Arvis, généraliste dans la région parisienne après avoir exercé dans l'Orne, pouvait s'enorgueillir d'un palmarès à faire rêver plus d'un professionnel de la haute montagne. Pas moins de 80 sommets de plus de 4 000 mètres à son actif, parmi lesquels : Ninaparaco (Pérou, 5 800 m), Aconcagua (Argentine, 6 960 m), K2 (Pakistan, 8 611 m), Cho-Oyu (Tibet, 8 201 m). Autant d'expéditions pour lesquelles il s'est naturellement enrôlé en qualité de médecin, ayant du reste consacré sa thèse aux pathologies médicales liées à l'altitude (« Médecine et altitude, des premières expéditions à la conquête des 8 000 »).
La consécration
Mais il lui manquait l'Everest. Le plus haut. Le but suprême et la consécration dans la vie d'un alpiniste. Par deux fois, il avait tenté l'ascension du Toit du monde. Deux échecs. Le premier, en 1992 ; il avait dû rebrousser chemin à 8 200 m. Le second, en 1999, par le versant tibétain, la face nord, la plus difficile. Dans cette tentative particulièrement audacieuse, la décision d'arrêter, juste après avoir passé le cap des 8 000 m, s'était imposée « comme une intuition vitale », alors que les conditions météo étaient très défavorables : un vent d'ouest soufflant par rafales à plus de 150 km/h et des risques d'avalanche maximaux (« le Quotidien » des 17 mai et 1er juin 1999).
Le troisième essai aura donc été le bon. Trois ans durant, le chef d'expédition, le guide suisse de haute montagne Stéphane Schaffter, a commencé par soulever des montagnes à la recherche des indispensables sponsors pour boucler le budget de l'opération (environ 400 000 euros). Une opération destinée à marquer le cinquantième anniversaire de l'expédition d'un autre montagnard suisse, Raymond Lambert, qui avait ouvert, en 1952, la voie principale de l'Everest, celle qui suit l'arête sud-est et qui sera par conséquent celle retenue un demi-siècle plus tard.
30 kg de médicaments
Pour les six alpinistes de l'équipe (trois Suisses, deux Français et un Australien), les six sherpas et les cinq cuisiniers, le Dr Arvis a donc à nouveau fait sa valise médicale. Pas moins de 30 kg de médicaments et de matériel divers : médicaments digestifs, large panoplie d'antibiotiques (quinolones...), corticoïdes, antitussifs, antalgiques, vasoconstricteurs nasaux, bandes plâtres, pansements, petit matériel chirurgical, ainsi qu'un caisson de recompression hyperbare en toile plastifiée. Elément essentiel aussi dans l'arsenal de l'urgentiste de haute montagne, le téléphone satellitaire qui permet de déclencher l'alerte et d'obtenir si nécessaire l'intervention d'un hélicoptère d'évacuation sanitaire (celle-ci néanmoins n'est réalisable que jusqu'à l'altitude plafond de 5 300 m, celle du camp de base).
L'équipage embarque aussi de l'oxygène, sous forme de 32 bouteilles de 4 litres gonflées à 290 atmosphères. Cet oxygène à la fois « indispensable et redoutable », puisque, note Philippe Arvis, « il permet de dépasser ses propres limites physiologiques ».
En fait, au long des quelque dix semaines que va durer l'expédition, le médecin n'aura à ouvrir sa valise médicale qu'à très peu d'occasions. Ce sera surtout pour secourir des équipiers d'autres expéditions (elles sont au nombre d'une dizaine, soit un total d'une soixantaine d'alpinistes qui se risquent sur les flancs de l'Everest en cette saison). Ainsi, le 2 avril, au camp de base, il prend en charge un cuisinier victime d'un dème pulmonaire (tachycardie à 130), qu'il caissonne avant son évacuation ; le 10 avril, c'est un alpiniste américain, victime d'une fracture à la cheville, qu'il traite avant son évacuation. En fait, Philippe Arvis n'aura à soigner qu'un membre de sa propre expédition, sur le chemin du retour, un équipier atteint d'une laryngite dyspnéisante auquel il fera une injection de corticoïdes.
Acclimatation en douceur
Somme toute, à la rubrique « bobologie », on serait tenté d'inscrire RAS. A celle consacrée à la physiologie de haute altitude, pas davantage d'incidents notables. « J'ai particulièrement été attentif à l'acclimatation initiale, raconte Philippe Arvis. Nous sommes passés de notre point de départ, Lukla, à 2 800 m, au camp de base en deux semaines de marche alors que huit jours auraient suffi, pour permettre une adaptation en douceur. Ensuite, nous avons passé quarante jours à faire des allers-retours entre le camp de base et le camp de base avancé, à 6 400 m, pour équiper la voie, mais surtout pour gagner en optimisation physiologique. » Des navettes sans cesse répétées, certes fastidieuses, mais indispensables pour prévenir le mal aigu des montagnes (MAM).
Fenêtre de beau temps
Le 10 mai, la météo de Chamonix, jointe par téléphone satellitaire, annonce une fenêtre de beau temps particulièrement favorable pour les 15 et 16 mai. L'expédition accélère la foulée en conséquence. Le 11, elle quitte le camp de base. Le 12, elle atteint le camp II. Le 13, elle est au camp III, à 7 300m. Le 14, en revêtant les masques à oxygène, elle atteint le col sud, à 8 000 m.
« Ce soir-là, le temps se gâte, raconte Philippe Arvis, avec de fortes rafales du vent du Nord, le jet stream. Mais le 16, tout s'arrange. Et en une douzaine d'heures de marche à la queue leu leu, nous effectuons l'ascension des 846 mètres qui nous séparent encore du sommet. Nous l'atteignons à 9 h 30. Le temps est exceptionnellement radieux. Le plus extraordinaire, arrivé en haut, c'est la vue, qui embrasse 400 km de glaciers au soleil. Pas le moindre souffle de vent. La température est très élevée, à - 5 degrés, permettant de tomber les gants. A plusieurs reprises, on enlève les masques pour prendre des photos. Je me rends compte alors que le cerveau est anesthésié par l'hypoxie et qu'on a vite fait de devenir incohérent. On oublie ce que l'on a dit la minute d'avant. On perd le fil, comme quand, à la descente, je m'éloigne de la trace pour me rapprocher d'une corniche mortelle. Ou quand je laisse tourner la caméra en oubliant d'appuyer sur la touche stop. »
Le plus dur, la descente
C'est en redescendant que Philippe Arvis connaîtra un moment de stress à l'idée que l'oxygène pourrait venir à manquer - ce qui ne sera pas le cas. Un autre moment très anxiogène, ce sera vers 6 000 m, lorsqu'il a fallu franchir une cascade de glace, avec des séracs de 600 m, en enjambant sur des échelles des crevasses de 100 m de fond et de 20 m de large, dans une région très instable, avec d'énormes blocs de glace qui s'effondrent et explosent dans un énorme fracas.
« C'est cela, le plus difficile à vivre, la tension nerveuse tout au long de ces semaines d'isolement dans un environnement minéral. Isolé en permanence dans ce milieu hostile, il faut des nerfs en acier pour persévérer. Surtout que l'angoisse est répercutée à l'autre bout du téléphone iridium, avec Nicolas (le fils du Dr Arvis, 6 ans, Ndlr) , spécialement, qui a tellement peur qu'il refuse de me parler. La performance est surtout mentale et psychique. Pour ce qui est de l'exploit physique, il est relatif en raison du recours à l'oxygène et, avant tout, grâce à l'assistance des sherpas. Sans eux, rien n'aurait été possible. »
Comme dit Christine Janin, l'autre médecin français à avoir vaincu l'Everest, « le plus dur, c'est la descente ».
Son rêve réalisé, Philippe Arvis doit, dit-il, « le digérer... Une page de ma vie est tournée ». La victoire se teinte d'un léger coup de blues. La suite, pour le médecin, ce sera professionnellement au sein de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP). Quant à l'exploit, l'Himalayen songe maintenant à s'entraîner pour le marathon. Puisqu'il faut bien un nouvel objectif, celui-là se courra désormais en plaine.
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