B OULEVARD LALLEMONT, à Melun, non loin du centre hospitalier de la préfecture de Seine-et-Marne, la Maison médicale. Avec ses deux chirurgiens-dentistes, ses trois kinés, ses quatre infirmiers, son podologue. Et ses quatre généralistes.
Le Dr Jean-Claude Aragnouet est l'un d'eux. Cofondateur des lieux. C'était il y a trente ans, l'âge du « Quotidien ». Trente années d'exercice médical avec, tous les jours, « le Quotidien » pour témoin. Ce qui lui a valu d'intervenir au nom des 80 000 confrères qui, comme lui, nous lisent chaque matin - ou chaque soir. « C'est un rendez-vous indispensable, même si le temps est forcément compté, confie-t-il. On lit beaucoup et vite. On va à ses rubriques préférées. Pour ma part, c'est d'abord la FMC. J'aime bien les rendez-vous d'autoévaluation, en particulier. Sinon, je retrouve dans "le Quotidien"une image juste de la profession. Avec des divergences d'analyses et de sensibilités qui finissent en général par s'équilibrer. Bien des médecins situés à droite vous jugent à gauche. Et comme ceux qui se déclarent à gauche vous classent à droite, la balance est égale. »
Dignes du Dr Knock
Le Dr Aragnouet, fort de ses trente années d'expérience, dresse un bilan très autorisé de l'évolution de la pratique médicale. « Le principal bouleversement aura sans doute concerné le diagnostic. On est passé d'une élaboration diagnostique très intellectuelle et non vérifiée, car non vérifiable, à un diagnostic imagé, étayé. Quand je me suis installé, mon associé, par exemple, pouvait se faire le champion de diagnostics dignes du Dr Knock : vous souffriez d'une paraplégie, il vous étiquetait sclérose en plaques ; vous faisiez de l'asthme, il vous décrétait insuffisant cardiaque ; dès que vous vous plaigniez d'une douleur de poitrine, vous aviez fait un infarctus ! Je ne parle pas du malade qui, ayant une banale céphalée, avait forcément fait une méningite ! »
L'époque est bien révolue. « Aujourd'hui, avec l'imagerie, le scanner, le Doppler, l'IRM et, bien sûr, les radios, nous sommes entrés dans l'ère de l'examen complémentaire tous azimuts. Personnellement, mon premier souci est la vérification de mon diagnostic, avec mes réseaux de correspondants. A Melun comme ailleurs, ils n'ont jamais été aussi nombreux et aussi spécialisés. Cela nous vaut un plateau technique ultraperformant. »
L'autre changement majeur dans la vie de généraliste de Jean-Claude Aragnouet, c'est l'ordonnance : « Après l'ordonnance de placebo,voici venue l'ordonnance hypertechnique, très lourde à rédiger, en particulier du fait des interactions médicamenteuses. »
Pour ce qui est de son rythme de travail, le Dr Aragnouet a le gabarit et l'endurance du rugbyman amateur qu'il fut pendant longtemps. Sa semaine, depuis son installation, ne compte pas moins de 70 à 75 heures. Cela représente une moyenne journalière de 35 actes. C'est beaucoup, mais cette pratique intensive permet de maintenir son expérience à un bon niveau, estime-t-il. « Il y a quinze ans, j'ai décidé de ne plus prendre de nouveaux clients, se souvient-il ; à l'époque, je faisais environ une cinquantaine d'actes. » Moins de clients, donc, mais des journées toujours aussi longues. Et il ne prévoit pas de les alléger d'ici à 2008, l'échéance qu'il s'est fixée pour dételer, après quarante années d'exercice. « J'ai même tendance à prendre moins de vacances qu'autrefois, une semaine tous les deux mois tout au plus ».
Corvéable à merci
Matériellement, s'il refuse de se plaindre, il constate que, avec un rythme identique de travail, son prédécesseur était l'heureux propriétaire d'un trois-mâts qui mouillait en Méditerranée et d'une ferme avec 300 têtes de bétail. « Pour ma part, mon patrimoine personnel atteint tout juste le seuil de l'ISF. La dégradation est réelle, avec les charges et les impôts qui nous accablent. »
Jean-Claude Aragnouet, cela dit, ne s'est jamais impliqué dans le débat politique ou syndical ; son credo, c'est la médecine : « J'ai choisi ce métier pour l'indépendance qu'il confère et les contacts humains qu'il procure. A ce double point de vue, ces trente ans m'ont procuré une totale satisfaction. »
Quel message juge-t-il important de faire passer pour les futures générations médicales ? « Le sens de l'homme doit primer sur la technicité à tout prix. Le généraliste est dans son rôle quand il oriente son patient, prend des décisions pour lui. Quand il le soigne et qu'il l'aime. Moi, je suis corvéable à merci. Je ne prends pas de garde, mais tous mes patients savent qu'ils peuvent m'appeler n'importe quel jour, à n'importe heure. C'est ma vie. »
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