LE DÉCRET SENSIBLE sur les « pénalités financières » (amendes administratives graduées) auxquelles s'exposeront demain assurés, employeurs, médecins ou établissements responsables de fraudes ou d'abus risque de faire quelques vagues.
Conséquence de la loi du 13 août sur la réforme de l'assurance-maladie (article 23), le projet de décret d'application, que « le Quotidien » s'est procuré, est déjà contesté par les syndicats de médecins libéraux. Les modalités de ce dispositif de sanctions (qui n'est pas conventionnel), et en particulier la garantie des droits de la défense, conditionneront l'implication des médecins dans la maîtrise médicalisée, mais aussi leurs relations avec les caisses primaires.
Le texte fixe la (longue) liste des motifs pouvant faire l'objet d'une pénalité financière en cas de « triche » avérée, notamment dans le domaine du remboursement ou de la prise en charge (voir encadré). Fausses déclarations, usurpation de la carte Vitale, bénéfice abusif d'indemnités journalières, mais aussi non-justification médicale des arrêts de travail et des transports prescrits, infractions à la nomenclature, cotations d'actes fictifs... : rien n'est oublié et la pénalité est fixée « en fonction de la gravité des faits ».
Le montant de l'amende est compris « entre 75 et 500 euros » lorsque la somme indûment présentée au remboursement ou mise à la charge de l'assurance-maladie est inférieure à 500 euros. La fourchette de l'amende « grimpe » (125 à 1 000 euros) lorsque le préjudice pour la Sécu est compris entre 500 et 2 000 euros. Et si l'« escroquerie » avérée au remboursement dépasse 2 000 euros, la pénalité oscille entre 500 euros et « deux fois le plafond de la Sécurité sociale en vigueur » (le plafond applicable à compter du 1er janvier 2005 est fixé à 2 516 euros). La gravité des faits, précise le texte, est évaluée notamment en fonction du préjudice comptable pour l'assurance-maladie et de la « répétition des faits reprochés ». Ce montant est d'ailleurs doublé en cas de récidive.
Neutralité des avis.
Le décret prévoit plusieurs étapes avant le couperet de la pénalité sonnante et trébuchante. Le directeur de la caisse locale adresse à la personne ou à l'établissement en cause une première « mise en garde » indiquant les faits de nature à l'exposer à une amende si ces faits « devaient être, après un délai d'un mois, à nouveau constatés ». Un avertissement qui n'est pas requis dans les cas les plus graves (fausses déclarations systématiques par exemple) ou lorsque l'infraction représente un montant important (plus de la moitié du plafond mensuel de la Sécu). Si ces abus ou fraudes sont constatés à nouveau, le directeur adresse une « notification » qui précise le montant de la pénalité et les faits reprochés. Le médecin ou l'usager dans le collimateur de la caisse dispose d'un mois pour présenter ses « observations écrites » et demander une audition par le directeur. Mais avant de prononcer une quelconque pénalité, le directeur de la caisse locale doit saisir une commission (prévue par la loi) chargée de rendre un « avis motivé dans un délai d'un mois à compter de sa saisine ». Cette commission se prononce sur la « réalité et la gravité des faits » et sur le montant de la pénalité.
Une balance déséquilibrée.
Restait à fixer la composition de cette fameuse commission afin d'instaurer un équilibre entre les représentants de l'assurance-maladie et les professionnels, permettant d'éviter toute suspicion. C'est sur ce point que le bât blesse. Certes, la loi stipule que, lorsque la pénalité concerne un professionnel, les représentants de sa profession participent à la commission. Pour les médecins, c'est l'instance paritaire locale (CPL) prévue dans la convention qui proposera cinq représentants, la commission étant par ailleurs composée de cinq membres issus du conseil de la caisse primaire. Mais le décret prévoit que le président de cette commission, qui dispose d'une « voix prépondérante en cas de partage égal des voix », est élu par... les membres du conseil de la caisse. Ce qui ferait basculer la majorité du côté de la section sociale. Une provocation pour les syndicats. « Cette configuration rappelle trop celle des comités médicaux régionaux (CMR), honnis par les médecins, avertit le Dr Michel Chassang, président de la Csmf . Le président de la commission doit être élu par l'ensemble des membres de la commission et non seulement par les membres de l'organisme local. Et la présidence doit être alternée... »
Pour le Dr Dinorino Cabrera, président du SML, il n'est « pas acceptable » que la parité soit remise en cause au sein d'une commission qui devra rendre des avis « les plus neutres possibles ».
Qualifiés de « tribunaux d'exception », les CMR instaurés en 1996 avaient envenimé durablement les rapports médecins/caisses avant d'être supprimés en 2002, lorsque la page du plan Juppé avait été tournée. Le fait que la Csmf et le SML, principaux signataires de la convention, se réfèrent à cette période de forte crispation n'est pas anodin.
Si le gouvernement veut créer les conditions de l'apaisement, il devra prendre en compte certaines remarques des syndicats. Sa réponse sera connue prochainement.
Le dispositif d'amendes vise en tout cas à combler le vide actuel en matière de sanctions, en permettant aux caisses locales d'utiliser un dispositif gradué, le déconventionnement restant une arme exceptionnelle. A noter que la pénalité prononcée pourra toujours être contestée devant le tribunal administratif.
Les principaux faits sanctionnés
• Professionnels de santé
- Non-respect du caractère personnel de la carte Vitale.
- Violation de l'obligation de transmettre au contrôle médical les éléments médicaux justifiant les prescriptions d'arrêts de travail et transports.
- Non-respect de l'obligation de mentionner le caractère non remboursable des actes et produits prescrits.
- Inobservation des conditions de prise en charge prévues lors de l'inscription au remboursement.
- Non-respect des obligations sur la nomenclature, cotation d'actes fictifs, fausses déclarations.
- Utilisation abusive des prescriptions d'arrêts de travail (notamment quand la pratique apparaît anormalement supérieure à la moyenne).
• Établissements de santé
- Manquements aux règles de facturation, erreurs de cotation.
- Inobservation des règles de prise en charge et de remboursement.
• Employeurs
- Non-respect de l'obligation de signalement de la date de reprise d'activité dans le cadre du service des indemnités journalières (IJ).
- Indications erronées ayant pour conséquence la majoration des IJ servies.
- Responsabilité avérée lorsqu'un assuré a bénéficié d'IJ de manière irrégulière.
• Assurés
- Fausses déclarations (état civil, résidence, qualité d'ayant droit, ressources) pour obtenir une prestation.
- Usurpation de carte Vitale.
- Inobservation des obligations sur le bénéfice des indemnités journalières.
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