Assurément, le non du Parlement turc à l'arrivée en Turquie de militaires américains porte un coup sévère à la stratégie militaire des Etats-Unis : ils voulaient prendre l'Irak en tenailles, ce qui aurait réduit la durée de la guerre, ils sont maintenant contraints d'envisager une guerre plus longue et qui fera davantage de victimes dans leurs rangs.
Les élus turcs ont obéi à la pression de leur opinion, que George W. Bush a omis de prendre en compte tant il était sûr de la participation de la Turquie à la guerre. Erreur majeure dont les conséquences sont incalculables : la bataille contre l'Irak n'est possible que si elle est courte, si elle se traduit par une victoire et si elle ne cause que des pertes marginales.
Les stratèges américains sont donc contraints à inventer une tactique de rechange. La meilleure consisterait à s'appuyer sur les forces kurdes installées au nord de l'Irak et qui, comme celles de l'Alliance en Afghanistan, n'attendent que le feu vert américain pour passer à l'offensive contre un régime qu'elles haïssent. Cela ne permettrait pas pour autant de débarquer 60 000 militaires américains, avec leurs chars et leurs canons. Il faudra que les Etats-Unis bombardent longuement les positions irakiennes du nord et se contentent d'envoyer sur place des parachutistes qui auront surtout un rôle de coordination avec les envahisseurs venus du Koweït. Rien, en tout cas, ne permet d'affirmer que les Kurdes, à eux seuls, pourront bousculer les Irakiens.
Mais le refus de l'Assemblée turque porte aussi atteinte aux intérêts de la Turquie. La négociation avec Washington sur le financement des dettes internationales de la Turquie (qui sont énormes) risque de ne pas aboutir ; en outre, si les Kurdes parviennent à repousser les Irakiens, ils demanderont la juste récompense de leurs efforts, c'est-à-dire la création d'un Etat kurde indépendant au nord de l'Irak, dans une région où, sous la protection des avions américains et britanniques, ils ont déjà créé une zone autonome qu'ils administrent eux-mêmes et qui est relativement prospère. Pour les Turcs, c'est un cauchemar, car ils craignent que le Kurdistan ne s'étende un jour jusqu'à l'est de leur pays.
Le gouvernement américain a accueilli avec un calme apparent la décision des élus turcs ; il n'est nullement certain qu'il se livrera à des représailles financières ou politiques contre Ankara. Mais un cycle vient de commencer qui risque de conduire l'opinion américaine à attribuer à la défaillance turque les pertes de l'armée américaine.
Bien entendu, la défection de la Turquie à laquelle, de toute évidence, les Etats-Unis ne s'attendaient pas pourrait conduire Washington à renoncer à son projet qui se complique chaque jour, notamment depuis que Saddam Hussein a consenti à détruire ses missiles Al-Samoud, geste considéré par l'ONU comme une preuve tangible de désarmement.
Pour le moment, les dirigeants américains n'ont rien laissé paraître d'une éventuelle révision déchirante. La guerre n'est donc pas moins probable aujourd'hui qu'hier et, lorsque la mêlée sera terminée, les Américains, à n'en pas douter, compteront leurs amis.
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