DURE SEMAINE POUR M. Bush : les heurts avec les milices chiites ont fait de très nombreuses victimes et le nombre des morts américains ne cesse d'augmenter. Le président des Etats-Unis entend respecter le calendrier qu'il a fixé et qui prévoit la remise du pouvoir aux autorités irakiennes au plus tard le 30 juin. Manifestement, les forces qui participent au soulèvement s'emploient par tous les moyens à empêcher les Etats-Unis d'appliquer leur solution politique.
Une course contre la montre.
Le mouvement insurrectionnel, pour dangereux qu'il soit, n'est pas unifié : chiites et sunnites nostalgiques du Baas et de Saddam Hussein se livrent à une course contre la montre pour la prise du pouvoir en Irak. Les chiites, qui représentent 60 % de la population du pays, refusent de tomber de nouveau sous la coupe des sunnites qui les ont persécutés pendant les trente années du règne de Saddam. L'ayatollah Sistani, qui prêche la non-violence tout en réclamant le départ des Américains, risque d'être rapidement débordé par l'imam Sadr. De même, Sistani réclame une consultation électorale au suffrage universel qui garantirait la majorité aux chiites, mais, à Bagdad, les dirigeants provisoires espèrent trouver une formule fédérale ou confédérale qui permettrait aux trois grandes ethnies de coexister, chiite, sunnite et kurde.
Un enjeu économique.
Le Nord, relativement calme, est occupé par les Kurdes, mais les rescapés du Baas harcèlent les forces kurdes pour les empêcher notamment de descendre plus au sud et de s'emparer des gisements de pétrole. Même la formule confédérale, qui est rejetée par les chiites, poserait des problèmes d'exploitation du pétrole, puisque là où les ethnies sont implantées, elles refusent de partager leurs ressources naturelles avec les autres.
Les enjeux sont donc extrêmement compliqués et le premier constat porte sur le terrible échec de M. Bush, qui a su mener la guerre promptement mais a raté l'occupation.
IL N'Y A PAS LIEU DE SE REJOUIR DES REVERS DE L'AMERIQUE
En un an, en effet, il s'est produit en Irak ce que prévoyaient les plus pessimistes des experts qui s'opposaient à l'intervention américano-britannique : le pays est menacé d'éclatement, il y règne une anarchie épouvantable, le terrorisme, la guérilla, le banditisme accroissent une insécurité qui n'est nullement propice à la reconstruction, et encore moins à l'épanouissement de la démocratie.
Une autre dictature ?
C'est très dommage pour les Irakiens eux-mêmes, dont l'avenir est sombre. Les appels à la raison lancés par le représentant américain, L. Paul (Jerry) Bremer, ses poursuites contre l'imam Sadr ne produisent aucun résultat convaincant, alors que le nombre de morts américains dépasse les six cents. Certes, M. Bush n'est pas tenté par une évacuation rapide qui laisserait les forces irakiennes régler leurs comptes, jusqu'à ce que l'une l'emporte sur les autres : ce serait troquer une dictature contre une autre.
Il est d'ailleurs plus probable que, si les Irakiens étaient livrés à eux-mêmes, le pays serait découpé en trois zones distinctes et que c'en serait fini de son unité. On n'a pas de peine à imaginer la création d'un Etat kurde dans le nord de l'Irak, avec les implications que ce geste aurait pour la Turquie, l'Iran et la Syrie. Les Américains ne peuvent donc pas se laver les mains du bourbier dont ils sont responsables. Mais à mesure que se rapprochent les élections de novembre aux Etats-Unis, les pertes en soldats américains deviendront intolérables. Le parallélisme des deux courbes constitue à lui seul la recette d'une défaite de M. Bush.
Ce qui ne règlerait en rien le problème irakien, parce qu'il faudrait que son successeur invente une solution politique.
Une autre planète.
Washington n'a jamais trouvé autant de charme aux Nations unies que depuis quelques jours. La France, de son côté, ne cesse de réclamer une intervention de l'ONU et un retrait américain aussi rapide que possible. Mais cette proposition n'est pas sérieuse : jamais l'ONU n'a pu régler un conflit militaire sans le soutien, en hommes et en matériel, des Etats-Unis. En outre, nous sommes, en Irak, dans une autre planète : on y tue tout ce qui bouge, y compris des civils de l'ONU.
Au fond, la leçon de cette crise, c'est qu'il est impossible de parlementer avec les Irakiens et qu'il faudrait leur imposer la démocratie par la force.
Mensonges et mystification.
C'est clair : il fallait d'abord ne pas y mettre les pieds. Un an de rétrospective nous permet de compter les mensonges, de mesurer l'étendue de la mystification par laquelle nous avons été bernés et l'inconscience de ces conseillers américains qui a entraîné les forces de la coalition dans une mésaventure mortelle. D'aucuns se réjouiront des revers de l'Amérique sans percevoir que sa défaite serait aussi la nôtre. D'autres, plus subtils, mettront en œuvre les démarches diplomatiques susceptibles de limiter les dégâts, de préparer un dégagement en douceur de l'Amérique et de donner une chance à ce malheureux Irak qui, après trois décennies d'obscurantisme et trois terribles guerres, mérite mieux que d'être dépecé par des fanatiques.
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