En ouvrant les Assises de la médecine spécialisée, qui se sont tenues, à l'initiative conjointe de l'UMESPE-CSMF et de l'INPH (Intersyndicat national des praticiens hospitalier), samedi à la Cité des sciences de la Villette, à Paris, le Dr Jean-François Rey, président de l'UMESPE (branche spécialiste de la CSMF) a exprimé sa « crainte » de voir, à la faveur des réformes en cours ou à venir, « disparaître » la médecine spécialisée libérale.
« Dans (la ) réforme du système de santé, dans le plan Hôpital 2007, nous ne voyons pas quelle place est laissée aux médecins spécialistes libéraux exerçant dans leur cabinet, exerçant, pour la moitié d'entre eux, dans une clinique privée », s'est inquiété le Dr Rey. Une anxiété partagée par bon nombre de ses confrères dont les interventions, au cours de ces Assises, ont largement tourné autour du futur - et, pour beaucoup de spécialistes installés en ville, décevant - règlement conventionnel minimal (RCM). Représentant à la Villette le ministre de la Santé, le Pr Philippe Thibaut a d'ailleurs suscité une certaine émotion en rappelant que le gouvernement allait débourser « près de 880 millions d'euros » pour la modernisation des services d'urgence. Huit cent quatre-vingts millions d'euros, c'est à peu près la somme que les spécialistes libéraux demandent, en vain depuis plusieurs mois, aux pouvoirs publics de débloquer pour leur propre revalorisation.
Quelles ressources ?
Pour parler « gros sous », une table ronde consacrée au financement des dépenses de santé a été l'occasion de s'interroger sur le coût de la médecine spécialisée et sur les efforts que celle-ci est prête à consentir pour que l'ardoise présentée à l'assurance-maladie ne s'allonge pas démesurément. « Nous sommes tous d'accord, a résumé le Dr Claude Maffioli, ancien président de la CSMF et actuellement membre du Conseil économique et social (CS), pour dire que la médecine spécialisée de qualité est une nécessité pour notre pays, quel qu'en soit le mode d'exercice. Mais il faut se pencher sur le problème financier. Ce que nous défendons (une médecine spécialisée utilisant des plateaux techniques performants, à la pointe du progrès, menant ses cabinets comme de parfaites entreprises...) est-il compatible avec le concept de solidarité nationale, avec le fonctionnement socialisé de notre système de santé, avec la notion - à laquelle nous sommes tous attachés - d'égal accès aux soins pour tous ? A-t-on assez de ressources ? Et si oui, à quoi faut-il que les spécialistes se soumettent pour que cela fonctionne ? » Le Dr Jérôme Frenkiel, médecin de santé publique, s'est attaqué à cette quadrature du cercle. Sa question initiale : « Comment concevoir une régulation économique des dépenses de santé qui mette d'accord l'Etat, les professionnels, les usagers et la Commission européenne ? » Trois réponses, seulement, selon lui. Un, financer l'augmentation des dépenses de santé avec la croissance économique, difficile à réaliser quand... il n'y a pas de croissance. Deux, financer cette même augmentation par le déficit des comptes sociaux, ce qui se passe actuellement « dans un contexte implicite de rationnement de la santé », selon le Dr Frenkiel. Trois, refuser l'augmentation des dépenses. Face à ces trois choix, l'expert ne voit « qu'une seule possibilité : ouvrir la porte aux financements privés » et en finir, en s'appuyant sur « d'autres modalités d'accès aux soins » que celles qui existent aujourd'hui, avec la logique unique de redistribution actuellement en vigueur. Pour Jérôme Frenkiel, il n'y a pas d'alternative. « C'est vers cela que l'on va. Et à partir du moment où le politique posera les règles du jeu, on trouvera une solution aux débats techniques que cette solution suscite. » Un optimisme vite tempéré par deux autres intervenants. Etienne Caniard, vice-président de la Mutualité, a reconnu que les mutuelles ont aujourd'hui « pris conscience » d'un nécessaire transfert de charges entre l'assurance-maladie et elles-mêmes mais il a aussitôt ajouté que définir « les conditions à remplir pour que les organismes complémentaires financent la qualité » était un exercice extraordinairement complexe. Les mutuelles pourraient, c'est vrai, contracter directement avec les médecins libéraux, a indiqué Etienne Caniard, mais « les systèmes ne sont pas prêts. Il n'est pas certain que, à la Mutualité, si la fédération signe un accord, elle soit capable de le faire appliquer partout. De la même façon, les syndicats médicaux peuvent-ils s'engager au nom de l'ensemble des médecins libéraux ? » Evoquant la constitution du panier de soins (c'est-à-dire la délimitation du périmètre des soins remboursés), Pascal Beau, de la revue « Espace social européen », a lui aussi fait preuve d'une très grande prudence : « Plus on avance dans la problématique, plus les difficultés naissent ». Il a par ailleurs rappelé aux spécialistes libéraux que « ce débat du panier de soins appartient aux pays - Grande-Bretagne, pays nordiques, Pays-Bas... - qui ont mis en place des services publics de santé forts, où la médecine de ville est une médecine publique ».
En attendant une grande réforme qui, pour voir le jour, n'a besoin que de « la volonté politique de tous les acteurs d'aboutir », Claude Maffioli a engagé les spécialistes à « rechercher, de façon permanente, l'équilibre entre médecine de qualité et solidarité ».
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