EN 2003, LES HABITANTS de l'île de Sein, au large du Finistère, avaient accueilli à bras ouverts Ambroise Menou. (« le Quotidien » du 28 avril 2003). Médecin généraliste, et enfant du pays puisque ses grands-parents étaient eux-mêmes habitants de l'île, Ambroise Menou était en effet attendu comme le Messie sur ce confetti de 55 ha, situé aux confins de la péninsule bretonne, à 5 km au large de la pointe du Raz. Il faut dire que, depuis plus de deux ans, l'île de Sein vivait sans médecin installé, alors que ses 200 habitants à l'année sont constitués à 70 % de retraités, et que, durant les vacances, l'île reçoit environ 120 000 touristes.
La municipalité et le conseil général du Finistère avaient déroulé le tapis rouge pour attirer le nouveau médecin sur le territoire communal : cabinet médical et appartement de fonction ont en effet été mis à sa disposition gratuitement, sans oublier une prime d'insularité de 15 000 euros par an.
A 61 ans, et cinq ans après cette implantation réussie, Ambroise Menou s'est si bien acclimaté à l'île qu'il envisage d'en devenir le premier magistrat.
Une liste pas si unie.
Interrogé sur son programme municipal, le Dr Menou est intarissable : «Il s'agit tout simplement de faire survivre l'île, attaque-t-il, un rien théâtral. Et il faut pour cela permettre à la population de rester sur place.» Cela passe notamment par les aides à domicile pour les personnes âgées, majoritaires à Sein. Une aide-soignante est bien présente sur l'île durant la semaine, mais elle rejoint le continent chaque week-end, laissant la population âgée sans soins, hormis la présence du Dr Menou qui ne peut tout faire. «Il faut aussi faire venir de nouvelles familles sur l'île», ajoute Ambroise Menou.
Ce point est également crucial pour l'avenir de Sein : le collège est en effet fermé depuis deux ans, même si un projet de réouverture est à l'étude. Quelques familles supplémentaires (et donc quelques enfants en âge d'être scolarisés) donneraient du poids à ce projet, «faute de quoi, les familles avec enfants quitteront l'île pour le continent», ajoute Ambroise Menou, avec à la clé le risque que Sein ne devienne à terme un pays de résidences secondaires pour continentaux aisés en mal de retour aux sources. D'autant qu'Ambroise Menou précise que, sur l'île, «le prix de l'immobilier est très élevé», ce qui bloque les velléités d'implantation de véritables insulaires. A telle enseigne par exemple que, selon le Dr Menou, la famille qui gère la principale épicerie du village est obligée de vivre dans la maison des grands-parents, faute de pouvoir trouver une maison à acheter à un prix abordable.
Mais il y a aussi le problème de l'érosion de l'île. Comme toutes les terres émergées, Sein est confrontée aux problèmes d'érosion du littoral par les eaux, un problème encore plus aigu sur cette île dont le point culminant se situe à 6 m, et dont l'altitude moyenne est de 1,50 m. Il faut donc prévoir un programme de renforcement des digues existantes, ce qui représente un budget sans commune mesure avec les moyens financiers de ce petit pays insulaire. D'autant que ses habitants bénéficient de privilèges qui ne font pas forcément l'affaire de la municipalité : ils sont en effet exemptés d'impôts locaux et de taxes foncières, et les entreprises y sont exemptées de taxe professionnelle. L'île bénéficie en contrepartie de subventions du conseil général, du conseil régional, de l'Etat et même de l'Europe.
Mais il apparaît que la candidature d'Ambroise Menou à la mairie n'est pas une promenade de santé. Pendant des semaines, Ambroise Menou s'est tout d'abord senti suspendu à la décision du maire actuel, Alain Le Roy, de se représenter ou non. Celui-ci, âgé aujourd'hui de 77 ans, est en effet coutumier des candidatures tardives : lors des dernières élections municipales, Alain Le Roy avait, de son propre aveu, officialisé sa candidature dans les derniers jours précédant le premier tour du scrutin, ainsi que l'autorise le code électoral pour les petites communes. Mais cette fois, Alain Le Roy, qui s'était beaucoup démené pour faire venir Ambroise Menou sur l'île, semble vraiment vouloir passer la main. Contacté par « le Quotidien », il confirme son retrait : «J'ai fait six mandats, il est temps de prendre ma retraite», confie-t-il sur un ton cependant un peu dépité.
Mais un autre problème guette Ambroise Menou. Selon de concordantes sources anonymes de l'île, un autre enfant du pays, Jean-Pierre Kerloc'h, retraité de l'armée, se verrait bien prendre la succession d'Alain Le Roy au poste de premier magistrat de l'île. Ambroise Menou et Jean-Pierre Kerloc'h figurent pourtant sur la même liste, respectivement en première et deuxième position, mais au jour de l'élection du maire, assurent ces mêmes sources, les membres du conseil municipal pourraient bien choisir de voter pour le deuxième de la liste, et non pour le premier.
Le motif invoqué, continuent ces informateurs anonymes, pourrait bien être la charge de travail d'Ambroise Menou. Celui-ci est déjà le seul médecin de l'île, il est de surcroît président de la société de sauvetage en mer (et, à ce titre, il a du gérer 83 avis de tempête au cours des trois derniers mois), et d'aucuns jugent ces deux activités peu compatibles, en termes de charge de travail, avec un mandat de maire.
Une version contestée.
Mais la situation se complique encore. Un ami d'Ambroise Menou, le peintre Didier Le Bihan, habitant lui aussi de l'île, figurait auparavant sur la liste du médecin, baptisée « Ensemble ». Contacté par « le Quotidien », Didier Le Bihan indique avoir quitté la liste de Menou, pour se présenter sans colistiers à la mairie. Sa candidature, baptisée « Tout seul » a, selon lui, pour but «de soutenir Ambroise Menou de l'extérieur, car, de l'intérieur, je ne pouvais pas m'exprimer. Ambroise se fait manipuler par ceux de sa liste, et lors de l'élection du maire, ils éliront Jean-Pierre Kerloc'h. Quand ils parlent entre eux, ils disent qu'Ambroise n'est pas assez ''fonce-dedans''. Moi je pense au contraire qu'en tant que médecin, il connaît bien l'ensemble de la population et ses problèmes. Si je suis élu conseiller municipal, ça fera toujours une voix de plus pour l'élection d'Ambroise à la tête de la mairie».
Une version que conteste Jean-Pierre Kerloc'h, pour qui «Didier Le Bihan a pété les plombs: il voulait la quatrième place sur la liste, et comme il n'a eu que la neuvième, il a claqué la porte. Il s'est montré ridicule.» Quant à la question de savoir quelle place il entend occuper dans la prochaine équipe municipale, la réponse de Jean-Pierre Kerloc'h fuse : «Je m'occuperai de tout!»
Ambroise Menou sait bien que son élection à la tête de la mairie n'est pas totalement assurée. Mais il se veut fataliste et continue son chemin. Il vient d'acheter une maison sur l'île et la fait retaper petit à petit. «Quand elle sera finie, se réjouit-il, ça me fera une maison de week-end.» Petite précision : sa maison de week-end est située à 100 m à peine de son appartement.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature