Des patients dans un état déplorable, des conditions de travail éprouvantes avec des températures internes supérieures à 35 degrés, des ordinateurs en berne à cause de la chaleur, des médicaments qui se détériorent dans les véhicules du SAMU quand le thermomètre frôle les 40 degrés : la vague de chaleur extrême qui s'est abattue sur la France pendant la première quinzaine d'août n'a pas facilité la tâche des personnels hospitaliers, déjà confrontés aux habituelles fermetures de lits estivales.
Malgré tout, « les hôpitaux ont fait face de façon remarquable », estime le Dr Rachel Bocher, psychiatre au CHU de Nantes et présidente de l'Intersyndicat national des praticiens hospitaliers (INPH). « C'est vrai, renchérit le président de la Fédération hospitalière de France (FHF), le sénateur UMP des Yvelines, Gérard Larcher, on ne le dit pas assez : l'hôpital public a répondu présent encore une fois. » Le maintien sur place du personnel ou son rappel, une mesure que prévoit le plan blanc lancé par Jean-Pierre Raffarin le 13 août, n'a pas été nécessaire. « D'eux-mêmes, les agents ont appelé pendant leurs vacances pour reprendre le boulot », souligne Jean-Marie Bellot, de FO-Santé, qui tient également à saluer le personnel administratif, « venu travailler le 15 août sans rechigner ». Pour ce syndicaliste, les 35 heures, largement critiquées et remises en question par certains députés UMP, n'y sont pour rien : « La crise aurait été la même avant l'an 2000 », dit-il.
Hormis les blocs opératoires, rares sont les services hospitaliers à bénéficier de la climatisation. Tous les stratagèmes ont été employés pour rafraîchir les patients - les toits ont été arrosés, des pains de glace ont été insérés dans les ventilateurs... En vain. Les morts se comptent par centaines, dans les hôpitaux, sans doute même par milliers. Le Dr Rachel Bocher y voit une explication : « La plupart des malades arrivés aux urgences étaient dans un état irrécupérable, ils ont eu accès aux soins trop tard. Si les réseaux gériatriques avaient fonctionné, les assistantes sociales et les médecins généralistes seraient intervenus plus nombreux, et il n'y aurait pas eu un tel afflux aux urgences. »
Gérard Larcher livre son analyse : « La médecine libérale était en vacances, les infirmières, les auxiliaires de vie étaient en vacances, beaucoup de cliniques étaient fermées. Le manque de lits d'aval et de personnel ont alourdi le tableau, et la catastrophe sanitaire n'a pu être évitée. »
« C'est la solidarité qui est partie en vacances »
En fait, constate le Dr François Aubart, président de la Coordination médicale hospitalière (CMH), « notre système n'a pas permis d'anticiper et de faire passer aux personnes âgées les moyens pour s'en sortir avec les mots que les généralistes connaissent ». Mais ni lui ni le président de la FHF, pas plus que la présidente de l'INPH, ne désignent de coupable, politique ou professionnel. Ils ne réclament aucune tête, et refusent d'entrer dans la polémique partisane. « La plupart des morts ont eu lieu à domicile, rappelle Gérard Larcher. En fait, c'est la solidarité qui est partie en vacances, chaque citoyen devra se remettre en question. Cette crise n'est pas qu'une affaire hospitalière, c'est essentiellement une affaire de société et d'organisation des soins. La fréquentation des urgences augmente de 4,6 % par an ; l'urgence n'est plus gérée par la médecine de ville, cela doit changer. Le rôle et la place des urgences dans l'hôpital doivent être redéfinis (finie la bobologie), les lits d'aval financés. Il faut aussi mettre un service de gériatrie dans tous les établissements de santé qui accueillent les urgences, alors que seul un quart en dispose aujourd'hui. »
Pour le Dr Rachel Bocher, il faut absolument « déconnecter la canicule des maux de l'hôpital qui existaient avant et qui existeront après ». Après les paroles apaisantes du gouvernement - qui promet, outre l'attribution d'une prime exceptionnelle aux personnels, de nouveaux moyens pour l'hôpital et le lancement d'un plan urgences au sein du plan Hôpital 2007 -, la syndicaliste attend des actes. Elle n'accorde un intérêt que très relatif aux travaux que doivent mener dans les trois mois à venir les quatre ateliers mis en place par Jean-François Mattei dans le cadre du plan Hôpital 2007 (sur le statut des PH, les directeurs d'hôpitaux, la gouvernance et le budget des hôpitaux).
« Aujourd'hui, l'hôpital 2003 est en crise, diagnostique Rachel Bocher. On ne va pas attendre 2007 pour la résoudre. On a eu un an d'immobilisme, de succession de rapports. Il est temps de prendre les bonnes décisions, qui ne verront pas tous les moyens exclusivement attribués aux urgences. Car les services de spécialité ont aussi souffert considérablement cet été, même si on en a moins parlé. »
Pour sa part, Jean-Marie Bellot, de FO-Santé, est certain d'une chose : « La catastrophe va changer l'ambiance. Dans un mois se tiendront les débats sur l'ONDAM, la décentralisation, la nouvelle gouvernance de l'assurance-maladie. On est face à un choix de société. Il faudra décider si on accepte de consacrer plus de ressources à la santé, même si c'est contradictoire par rapport au pacte de stabilité européen. »
Pour le Dr François Aubart, le plan urgences n'est pas la bonne réponse. « On n'a pas besoin d'un coup de passe-passe médiatique, mais d'une remise à plat du système de santé. On ne pourra se contenter d'un taux d'ONDAM hospitalier un peu plus ou un peu moins. Le PLFSS 2004 devra être corrélé aux nouvelles priorités à définir pour éviter que ne se renouvellent ce scénario et ces pertes de chance inacceptables pour la population. »
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature