SON DESTIN s'est brisé le 21 août dernier : le commandant Caroline Aigle s'est envolée non sans avoir livré «son dernier combat». Atteinte d'un cancer de mauvais pronostic diagnostiqué alors qu'elle était enceinte de son deuxième enfant, elle avait décidé de poursuivre sa grossesse. «Elle ne pouvait pas arrêter la vie d'un être qu'elle avait porté pendant cinq mois», a expliqué son époux Christophe dans un témoignage à RTL.
A la fin du mois d'avril, les médecins découvrent un mélanome, le pronostic est réservé. Mi-juillet, la maladie a évolué plus vite que prévu. Quelques heures à peine après le terrible verdict, elle décide de se battre jusqu'au bout et de mettre au monde l'enfant qu'elle porte. Pas question d'interruption thérapeutique. «Les médecins lui ont posé la question, moi-même je la lui ai posée, elle a refusé», raconte son époux. «Je vais jusqu'au bout pour lui donner le plus de chance. Ensuite, je m'occupe de moi», expliquait-elle.
Après cinq mois et demi de grossesse, elle met au monde par césarienne un petit garçon, Gabriel ; «un petit ange» qu'elle «a pu voir plusieurs fois et porter».
Gabriel, né le 3 août dernier, ne connaîtra pas sa mère, décédée à 32 ans dix-huit jours plus tard, mais nul doute que, s'il survit, sa légende lui sera contée. Première femme pilote de chasse en France, son parcours est en effet exceptionnel : lycée militaire de Saint-Cyr, classes préparatoires à La Flèche, école nationale d'ingénieurs des études et techniques d'armement, Normale sup, Polytechnique, Ecole de l'air. Sportive accomplie (championne militaire de triathlon), elle totalisait près de 1 600 heures de vol, notamment sur le Mirage 2000. Son rêve : devenir spationaute. Elle venait d'obtenir un DEA d'astrophysique et apprenait le russe. Comme l'affirme son époux, ce petit bout de femme d'à peine un mètre soixante aura été une «héroïne jusqu'au bout».
Conflit d'intérêt foeto-maternel.
Les médecins n'ont eu qu'à se plier à la volonté exceptionnelle de leur patiente. Dans un cas de ce genre, il faut respecter la décision de la mère, estime le Pr Olivier Claris, chef de service de réanimation néonatale (CHU de Lyon), interrogé par l'AFP. «On peut informer et conseiller les parents, on explique avec des arguments très précis tenant compte de la mère et de l'enfant, mais, bien entendu, il n'est pas question d'imposer une interruption de grossesse thérapeutique ou une césarienne.»
De telles situations, dans le cadre de la cancérologie, «ne sont pas exceptionnelles», assure, pour sa part, le Pr Claude Sureau, gynécologue-obstétricien, membre du Comité national d'éthique et vice-président de l'Académie nationale de médecine. «C'est l'exemple typique du conflit d'intérêt foeto-maternel. On parle toujours de symbiose harmonieuse entre la mère et l'enfant. C'est vrai, mais il existe des situations de conflit», dit-il au « Quotidien ».
Un cas lui vient à l'esprit, celui d'une Américaine atteinte, il y a une dizaine d'années, d'un mélanosarcome. «Cette femme ne voulait pas poursuivre sa grossesse. Ce qui est extraordinaire, c'est que les praticiens l'ont forcée à la laisser évoluer jusqu'à la maturité foetale. Elle a été césarisée à 6mois. Elle a pu voir son enfant vivant, mais est morte quelques jours plus tard. L'enfant, lui, est décédé après», raconte-t-il.
En France, un tel drame ne saurait être possible : «Chaque cas est particulier. Rien n'est prévu, ni dans le code de déontologie ni dans les lois dites de bioéthique», note avec satisfaction le Pr Sureau. «C'est laissé à l'appréciation de la femme. C'est son choix et il faut suivre sa volonté. Après, tout est une question de discussion entre le médecin et la patiente.» Et cela, même «contre l'avis du mari», précise-t-il. Le problème est plus délicat lorsque la femme n'est pas consciente : «Il y a une vingtaine d'années, le cas s'est présenté aux Etats-Unis chez deux patientes dans un coma irréversible à la suite d'un attentat par armes à feu. Les enfants ont été extraits par césarienne au bout de six mois de grossesse et ont survécu.»
En dépit des débats qui ont pu agiter le monde médical, en France, contrairement aux Etats-Unis ou dans d'autres pays anglo-saxons, aucune loi n'est jamais venue interférer dans la décision médicale. «C'est encore un espace de liberté pour les femmes et pour le corps médical», conclut l'académicien.
Les médecins devront déterminer avec la patiente – en fonction de son état et de celui du foetus – du moment de la césarienne. Avant 25 semaines, les séquelles sont fréquentes chez les survivants (supérieures à 30 %).
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