La rumeur de ce départ courait depuis plusieurs mois (« le Quotidien » du 25 octobre). Elle n'en est plus une depuis mercredi : le conseil des ministres a relevé de ses fonctions le directeur de la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM), Gilles Johanet, en poste depuis juillet 1998.
Une révocation paradoxalement souhaitée par l'intéressé qui, selon son entourage, se sentait « trahi » par les pouvoirs publics.
Le second mandat de Gilles Johanet à la direction de la CNAM - il y avait fait un premier passage de 1989 à 1993 - se termine comme il s'est déroulé : par un bras de fer avec les pouvoirs publics. La récente affaire de la revalorisation tarifaire des kinésithérapeutes, consentie par la ministre de l'Emploi et de la Solidarité, Elisabeth Guigou, contre l'avis du directeur de la CNAM, a sans doute exaspéré Gilles Johanet. Mais cet épisode n'a été que la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Car depuis l'été 1999, le directeur de la CNAM et le gouvernement entretenaient des rapports pour le moins tendus. Détonateur de cet antagonisme : le plan stratégique de la CNAM, un projet défendu bec et ongles par Gilles Johanet, son principal artisan. Trente-cinq propositions visant à « refonder le système de soins » et à réaliser en cinq ou six ans un total de plus de 9 milliards d'euros d'économie. Les médecins, le médicament, la biologie, les soins dentaires et optiques, les cures thermales, les assurés sociaux et surtout l'hôpital (à qui il était demandé d'économiser près de 5 milliards d'euros) : le plan de la CNAM n'oubliait personne. Il a fait l'effet d'une bombe;
Martine Aubry, alors ministre de l'Emploi et de la Solidarité, lui a opposé une fin de non-recevoir aux allures de camouflet pour Gilles Johanet, ancien conseiller de Pierre Mauroy à Matignon, longtemps étiqueté au PS comme « spécialiste » de la Sécurité sociale. Dès lors, ce dernier n'a fait que peu d'efforts pour cacher son désaccord avec la politique de santé conduite par le gouvernement. Contraint de revoir ses ambitions à la baisse, celui qui, en prenant ses fonctions, qualifiait le plan Juppé de « nécessaire, mais pas suffisant », plaidait pour « une réforme radicale » du système de soins et affirmait qu'un quart des dépenses d'assurance-maladie étaient « totalement inutiles », n'a pu que naviguer à la petite semaine, tour à tour esquivant, essuyant les coups des pouvoirs publics et perdant le pari de l'autonomie de gestion des caisses.
Non content de passer à côté de la réforme d'envergure dont il rêvait, Gilles Johanet a dû faire face aux difficultés internes de la CNAM, liées notamment à la mise en uvre de la carte Vitale et aux retards pris dans le traitement des feuilles de soins, à la préparation du passage à l'euro ou à la gestion des effectifs de l'institution.
Gilles Johanet, agitateur d'idées, volontiers provocateur, est à peine parti de la CNAM qu'il est déjà regretté. Les syndicats médicaux en particulier, pourtant opposés à la politique conduite par la caisse depuis plusieurs années, accusent les pouvoirs publics de se livrer au « gâchis », selon les termes du Dr Dinorino Cabrera, qui préside le SML (Syndicat des médecins libéraux).
« Chaque fois que l'on a quelqu'un d'intelligent, qui mène une réflexion cohérente, on se plaît à ne pas faire appel à lui et à l'écarter », précise le Dr Claude Maffioli, président de la CSMF (Confédération des syndicats médicaux français).
Il se dit que si Gilles Johanet a souhaité quitter ses fonctions, c'est aussi pour retrouver sa « liberté de parole ». On n'a donc pas fini d'entendre parler - ni sans doute de lire (1) - ce Saint-Just de l'assurance-maladie, défenseur des filières de soins et pourfendeur du nomadisme médical.
(1) Le dernier ouvrage publié par Gilles Johanet avait pour titre « Sécurité sociale : l'échec et le défi », Seuil, 1998.
Le nouveau directeur général de la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM), Daniel Lenoir, 46 ans, ressemble peu à son prédécesseur. « Si le premier est une Ferrari, le second est une Xantia », ironise un observateur à l'intérieur du sérail.
Les tempéraments, et aussi les convictions, des deux hommes sont différents. Daniel Lenoir est discret, « silencieux », selon certains, quand Gilles Johanet est plutôt du genre flamboyant et fort-en-gueule. Certes adhérent à la CFDT, certes poulain du président (CFDT aussi) de la CNAM, Jean-Marie Spaeth, dans la course aux manettes de l'institution, le tout neuf directeur général est aussi moins ouvertement « politique » que son prédécesseur.
Sur le fond, et dans le contexte, maintenant pressant pour lui, de la grogne des médecins généralistes, Daniel Lenoir s'écarte également de celui qu'il remplace. Très récemment, dans une interview au mensuel « Liaison social », il estimait : « On a fait une erreur en ne parlant que de la maîtrise des dépenses de santé », et réclamait « d'abord un objectif responsable et raisonnable sur la qualité et l'organisation des soins ».
Ingénieur agronome passé tardivement par l'ENA, ancien inspecteur de l'inspection générale des Affaires sociales (IGAS), Daniel Lenoir dispose surtout d'un solide bagage mutualiste : entre 1994 et 1997, il a dirigé la Mutualité Fonction publique ; de 1997 à aujourd'hui, il a assuré la direction générale de la caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (MSA), c'est-à-dire le régime de Sécurité sociale des agriculteurs. Une institution qui, en gérant la protection sociale de 4,5 millions de personnes, est le deuxième régime français d'assurance-maladie.
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