La mort subite chez l'insuffisant cardiaque représente 40 à 70 % des décès de cause cardiovasculaire.
Une des façons d'apprécier la mort subite de l'insuffisant cardiaque est indirecte : il s'agit d'évaluer l'influence du défibrillateur implantable dans cette population. « Si la mort subite de l'IC n'est pas d'origine rythmique, le fait d'implanter cet appareil ne devrait pas avoir d'incidence ni sur la mortalité subite, ni sur la mortalité totale. Or, ce n'est pas le cas, » affirme le Dr Ricard (Monaco).
L'étude MADIT ( Multicenter Automatic Defibrillator Implantation Trial), essai de prévention primaire, s'est intéressé à des patients qui n'ont pas encore présenté d'arythmie ventriculaire grave mais qui sont à haut risque de mort subite parce qu'ils sont dans le post-infarctus. Ils ont une altération profonde de la fonction systolique du ventricule gauche, des épisodes de tachycardie ventriculaire non soutenue spontanée et une arythmie ventriculaire grave inductible. Deux groupes de patients ont été comparés, le premier traité par un défibrillateur et un second par un traitement conventionnel ; 66 % de cette population était en classe II ou III de la classification NYHA, sans classe IV.« Lorsqu'on évalue la survie de ces patients en tenant compte de la fonction systolique du ventricule gauche, ceux qui ont une fraction d'éjection entre 26-35 % tirent un bénéfice du défibrillateur. Ce bénéfice est encore plus net lorsque la fraction d'éjection est très altérée, inférieure à 26 %. » explique le Pr Ricard.
L'étude AVID (Antiarrhythmics Versus Implantable Defibrillators) est un essai de prévention secondaire c'est-à-dire qu'il porte sur des patients qui ont déjà présenté une arythmie ventriculaire grave. Cet essai a comparé le traitement médical anti-arythmique, le plus souvent l'amiodarone, au défibrillateur. « Ici, on retrouve le même constat que dans l'étude MADIT, poursuit le spécialiste. Les patients qui ont une fraction d'éjection supérieure à 0,34 ont la meilleure survie, mais il n'existe pas de différence significative entre le groupe traité par défibrillateur et le groupe traité par amiodarone.
En revanche, cette différence devient hautement significative chez les patients qui ont une fonction ventriculaire gauche encore plus altérée. »
En prévention secondaire
L'étude CIDS ( Canadian Implantable Defibrillator Study) est aussi un essai de prevention secondaire qui a comparé deux groupes : un groupe traité par amiodarone et un second traité par défibrillateur ; trois facteurs étaient associés à un mauvais pronostic : l'âge élevé, la fraction d'éjection basse, la classe NYHA III/IV. Chez les patients qui avaient un risque faible, c'est-à-dire ceux qui n'avaient pas de facteurs péjoratifs, la mortalité est faible et il n'y a pas de différence de mortalité totale entre ceux qui ont un défibrillateur et ceux traités par amiodarone. En revanche, dans la population d'insuffisants cardiaques graves, la différence est significative au bénéfice de la population avec défibrillateur.
Une réduction de la mortalité totale
« Le défibrillateur, chez ces patients sélectionnés insuffisants cardiaques, souligne le Dr Ricard, diminue nettement la mortalité subite de façon significative mais aussi la mortalité totale. Compte-tenu de ce constat, si environ 50 % des insuffisants cardiaques décèdent subitement, il faudrait peut-être implanter de façon systématique un défibrillateur à tous les patients insuffisants cardiaques, sans les sélectionner sur leurs troubles du rythme, » suggère le Dr Ricard.
Plusieurs études sont en cours pour évaluer cette stratégie :
-la première est la SCD-HEFT (Sudden Death Heart Failure Trial) qui regroupe des patients insuffisants cardiaques (classe II/III de la NYHA) avec cardiopathies non-ischémiques ou ischémiques, ou une cardiomyopathie et une fonction ventriculaire gauche altérée(FE <0,35). Cette étude compare un groupe placebo, un groupe traité par amiodarone et un groupe avec défibrillateur ; le critère d'évaluation est la mortalité totale. 2 500 patients sont inclus avec un suivi de deux ans et demi ;
-la seconde étude est l'essai MADIT-II (Multicenter Automatic défibrillator Implantation Trial-II). Ici les patients ont une cardiopathie ischémique associée à une altération profonde de la fonction systolique du ventricule gauche ; la mortalité totale est le critère d'évaluation principal. « Avec un suivi de plus de dix mois chez 1 200 patients, cet essai a été arrêté en novembre 2001 en raison de la réduction de 30 % de la mortalité dans le groupe défibrillateur, explique le cardiologue. Ces résultats vont être publiés prochainement dans the American Journal of Medicine. »
Une relation inverse
Le Dr Robert Isnard (hôpital Pitié-Salpétrière, Paris) nuance ces propos.
« Réduire la mort subite de l'insuffisant cardiaque à un problème de trouble du rythme est restrictif, ». Il existe une relation inverse entre la sévérité de l'insuffisance cardiaque et la proportion de morts subites (Etude Merit-HF - Metoprolol Randomised Intervention Trial in Heart Failure ; Lancet 1999 ; 353 : 2001). « Il ne faut pas oublier que la principale cause de l'insuffisance cardiaque est la coronaropathie ; ces patients présentent des épisodes coronariens aigus : dans l'étude SOLVD (Studies Of Left Ventricular Dysfunction), l'incidence annuelle des accidents ischémiques a été évaluée :on observe environ 5 % d'angor instable et environ 3 % d'infarctus du myocarde. Ces événements ischémiques peuvent représenter des sources de mort subite et des causes d'arythmies. »
Une étude autopsique (Loire, Arch des maladies du cur, 1993 ; 86 : 401) sur près de 1 000 patients morts subitement montre que plus de 40 % avaient une coronaropathie avec une thrombose coronaire classique chez 150 d'entre eux. Une étude coronarographique, publiée par l'équipe de Cochin (Spandling, N Engl J Med, 1997 ; 336 : 1629), objective sur des coronarographies réalisées immédiatement après une réssuitation, que 71 % ont une coronaropathie, et une occlusion coronaire dans près de 48 % des cas. « Il est clair que même si l'événement rythmique est l'événement terminal, la pathologie sous-jacente est fréquemment un événement ischémique qu'il va falloir essayer de traiter, » souligne le Dr Isnard.
L'importance de la pathologie ischémique
Dans l'étude ATLAS ( Assessment of treatment with lisinopril and survival, Uretsky, Circulation 2000) qui a évalué des insuffisants cardiaques, 171 patients ont été autopsiés. Parmi ceux décédés de mort subite et ayant une coronaropathie, on retrouve une thrombose coronaire et un infarctus du myocarde dans plus de la moitié des cas. « Ici, dans 50 % des cas, il s'agit d'un événement coronarien aigu qui déclenche l'événement rythmique. »
Pour le spécialiste, si on veut avancer dans la prévention de la mort subite chez l'insuffisant cardiaque, il faut donner aux patients les médicaments qui préviennent l'essentiel de la maladie c'est-à-dire le remodelage ventriculaire (IEC, bêta-bloquants). Il faut utiliser les diurétiques qui permettent de limiter au maximum la survenue de dyskaliémies et bien sûr, considérer de manière très attentive les éventuelles possibilités d'ischémie myocardique et, traiter ces patients par revascularisation et anti-thrombotiques appropriés. Il faut aussi sélectionner les patients qui restent à haut risque d'événements arythmiques afin de discuter l'apport d'autres thérapeutiques, et notamment du défibrillateur.
Une collaboration entre spécialistes
Pour répondre à la question suivante : faut-il essayer de sélectionner les patients susceptibles de bénéficier d'un défibrillateur ou faut-il traiter tous les patients ? Selon le Dr Isnard, « il est important que les spécialistes de l'insuffisance cardiaque travaillent de manière plus rapprochée avec les spécialistes de rythmologie de manière à améliorer la prise en charge. » Le débat reste ouvert car ces perspectives soulèvent des problèmes de coût, de coût/efficacité qui ont été rappelés par le Pr Robert Slama (cardiologue, ancien chef de service de cardiologie à l'hôpital Lariboisière, Paris).
D'après la session Controverse "La mort subite de l'insuffisant cardiaque est-elle rythmique ?" présidée par les Prs R. Grolleaux-Raoux (Montpellier) et Robert Slama (Paris) à laquelle ont participé les Drs Pierre Ricard (Monaco) et Robert Isnard (hôpital Pitié-Salpétrière, Paris).
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