LE DÉPISTAGE des hépatites n'est pas un sujet simple à aborder avec les patients en consultation. Alors que la demande de test du VIH ou du cholestérol est entrée dans les moeurs, le Dr Jean-Louis Boujenah, généraliste, président de l'Association nationale des généralistes pour la réflexion et l'étude de l'hépatite C (Angrehc), regrette que les hépatites demeurent une maladie cachée. Comment un généraliste pourrait-il, par exemple, commencer sa consultation avec un patient de 45 ans, cadre supérieur, qui vient le voir pour une angine, en demandant : «Avez-vous fait de la prison? Vous êtes-vous piqué une fois dans votre vie? Avez-vous eu un rapport homosexuel?» Le cadre de la consultation ne permet pas de mener cette enquête brutale. Jean-Louis Boujenah en appelle donc à la responsabilisation des uns et des autres et souhaite un changement de représentation des hépatites. «Même si les hépatites ne font pas aussi peur que le VIH, il ne faut pas les oublier. Et les pouvoirs publics doivent se mobiliser, même s'il y a moins de malades touchés par les hépatites que par les pathologies liées au tabac ou les cancers.» La lutte contre les hépatites a aussi «le droit d'avoir les moyens qui ont été distribués pour prévenir les autres maladies», plaide le Dr Boujenah, avant de revenir à la difficulté spécifique du repérage des personnes à risque.
La consommation de drogues et d'alcool demeure un des facteurs prépondérants. Parmi les personnes contaminées, 40 % ont eu recours à l'injection et 30 % ont consommé du crack dans le mois précédent le diagnostic, précise Elisabeth Delaroche-Astagneau, médecin épidémiologiste au département des maladies infectieuses de Institut de veille sanitaire. Selon Marie-France Chedru, chargée de mission à la Mildt (Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie), pour vaincre les transmissions, il faut avant tout éviter la première injection. Pour multiplier les chances d'être entendue, elle envisage de mener une campagne de prévention sur d'autres terrains, par exemple des lieux festifs.
Le piercing ou l'acupuncture peuvent être aussi à l'origine d'hépatites, même si les hépatologues confirment que, dans 12 % des cas, l'origine de l'hépatite B ou C reste un mystère. La méconnaissance des origines de la maladie autorise des associations un peu rapides. «Quand on parle de cirrhose, on évoque tout de suite l'alcool et on ne pense pas aux hépatites métaboliques», précise le président de l'Angrehc. Pour lui, il est trop facile de miser sur le renforcement de la formation des généralistes en la matière. «Les généralistes doivent être formés à tout, mais comment voulez-vous que le réflexe soit acquis alors que l'on voit une hépatiteB et une hépatiteC par an en moyenne dans un cabinet?»
Remplacer les vieux bilans.
Thierry Poignard, chef de service d'hépato-gastro-entérologie au groupe hospitalier de la Pitié-Salpêtrière (Paris), partage le point de vue de Jean-Louis Boujenah ; il affirme que «les 1000personnes croisées chaque année en consultation dans un cabinet qui présentent une augmentation de gamma-GT et de transaminases dans leur bilan méritent plus d'attention». Ces éléments inquiétants concernent souvent des patients qui boivent trop, sont gros ou diabétiques, ce qui renforce la difficulté de les repérer. «Si l'on arrive à remplacer le vieux bilan hépatique standard de nos ancêtres, qui ne sert plus à rien, par des tests qui disent clairement que le patient est en train d'aller vers la cirrhose, on augmente nos chances de prendre en charge plus convenablement les hépatites.» Cet outil deviendrait donc indispensable aux médecins généralistes pour repérer les cas. En France, deux tests de nouvelle génération existent. Mais la cirrhose continue de faire 15 000 morts par an. «Cela reste incompréhensible puisque cette maladie peut être traitée quinze ans auparavant si le bilan est fait», insiste l'hépato-gastro-entérologie parisien, qui demande que les moyens soient conservés à l'hôpital public aussi.
Ouvrir des hôpitaux de jour.
«A l'hôpital public, on a besoin de continuer à écouter les malades», lance Thierry Poignard, qui met l'accent sur l'importance de l'équipe pluridisciplinaire, «seule à pouvoir avancer en formation de tortue romaine face à un patient qui est complètement désintégré par le diagnostic que l'on vient de lui annoncer».
Danièle Desclerc-Dulac, vice-présidente de la fédération SOS Hépatites, exalte cette approche pluridisciplinaire et le recours indispensable aux psychiatres et psychologues.
Thierry Poignard regrette que les hôpitaux de jour coûtent chers, alors qu'ils sont les seuls à permettre à la fois de procéder rapidement à un acte invasif et de faire une échographie. «Expliquer convenablement et humainement la maladie prend du temps, mais ce qui coûte le plus cher, c'est le traitement, lorsque le dépistage n'a pas eu lieu», souligne-t-il. Une hépatite C ou B au stade de cirrhose coûte entre 50 000 et 100 000 euros pour le traitement et la gestion des problèmes qui l'accompagnent.
Michel Régereau, président de la Caisse nationale d'assurance-maladie, se demande « comment mieux faire avec ce que l'on a». Il insiste sur la nécessité de «mieux articuler le travail des médecins avec celui des infirmières» et dévoile son ambition d'aller, avec les associations, à la rencontre des personnes les plus éloignées du système de soins.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature