George W. Bush perd des soldats tous les jours en Irak sans que sa politique soit remise en cause. M. Bush a menti sur la présence en Irak d'armes de dissuasion massive (ADM), les Américains ne le lui reprochent pas. M. Bush dépense sans compter, il n'en est pas encore à craindre de perdre les élections de l'année prochaine.
Il n'en va pas de même pour Tony Blair, qui vient de réunir le Labour à Bournemouth. Les Britanniques lui demandent des comptes sur les ADM, sur l'affaire Kelly, du nom du malheureux inspecteur de l'ONU qui s'est suicidé, sur sa très vive querelle avec la BBC, sur son engagement en Irak. Sa cote de popularité descend à vive allure. Et s'il demeure un prince de la communication en prononçant des discours enthousiasmants, son rival du Labour, Gordon Brown, actuellement chancelier de l'Echiquier, lui a ravi la vedette à la réunion annuelle du parti.
Ambitions déçues
Mais qu'allait-il faire dans cette galère ? Qu'est-ce qui a conduit Tony Blair à épouser les positions de Bush, à envoyer des soldats anglais se faire tuer en Irak, à mentir (ou exagérer) au sujet des ADM ? Sans doute son désir de conduire une grande politique étrangère et de prendre la tête de l'Europe, après une victoire en Irak sans complications.
En outre, le Premier ministre britannique ne s'est nullement conduit comme le « caniche » de Bush, comme on le lui a cruellement reproché : c'est Tony Blair qui a remis en selle le secrétaire d'Etat Colin Powell en proposant à Bush de passer par l'ONU pour en obtenir son aval avant d'engager la bataille ; ce n'est sûrement pas Dominique de Villepin qui, lui, a brandi la menace de veto de la France et fait échouer la diplomatie de Blair. Un échec accompagné d'un grand fracas, parce que Bush et Powell ont été écurés par l'approche multilatéraliste que Blair leur proposait.
Tout cela est déjà lointain (les Etats-Unis en sont à solliciter leurs alliés pour qu'ils les sortent du guêpier irakien), mais tout cela a laissé des traces. En attendant que Bush soit contesté plus durement par l'opposition démocrate, Blair, lui, paie déjà les pots cassés.
Or, curieusement, la menace ne vient pas de l'opposition conservatrice, même si une élection partielle a fait perdre au Labour un bastion électoral à Londres (au profit des libéraux, le troisième parti). Les Tories n'ont pas su prendre le contrepied de la politique de Tony Blair : ils n'étaient pas foncièrement hostiles à la guerre ; ils ne disposent d'aucun argument contre la politique économique et sociale du gouvernement, qui a approfondi et poursuivi les réformes lancées par Margaret Thatcher et John Major ; Blair les a privés d'un projet ; et s'il y a un domaine où ils sont encore moins crédibles que les travaillistes, c'est celui de la nécessaire remise en état des services publics.
L'opposition à Blair vient de la contestation au sein du parti travailliste où, visiblement, le très compétent Gordon Brown souhaite succéder au Premier ministre, à la fois parce qu'il ne peut être associé à la mésaventure irakienne et parce que l'économie britannique est celle qui, en Europe, a le mieux résisté à la crise : deux fois moins de chômage qu'en France, des excédents budgétaires et pas plus d'inflation.
Le cauchemar irakien
Le risque couru par Tony Blair est donc que sa popularité s'affaiblisse jusqu'à un point où sa situation personnelle deviendra intenable. C'est très précisément ce qui est arrivé à Margaret Thatcher quand elle a institué une taxe qui a révolté ses concitoyens. Elle a dû démissionner de ses fonctions, mais les Tories sont restés au pouvoir. Tout l'art de Tony Blair va consister à piocher dans le capital de popularité qu'il a accumulé précédemment, à démontrer qu'il reste le leader naturel du Labour et à rappeler à ses amis, et donc ses rivaux, qui les a faits rois.
Autrement, Tony Blair n'est pas obligé de procéder à des élections avant 2005. Il dispose de moins de deux ans pour rehausser une image qui a beaucoup souffert de l'affaire irakienne et de ses conséquences en politique intérieure, avec l'affaire Kelly et la démission du spin doctor (spécialiste de la communication) Alastair Campbell. Ce n'est pas un homme qui manque de ressources, il peut exciper d'une bonne gestion économique et sociale, même s'il lui faut, sans plus tarder, investir dans le système de santé, les transports publics et l'éducation ; et un homme dont l'ascension a été fulgurante sait s'accrocher aux branches. Ce dont il a le plus besoin, c'est d'en finir avec le cauchemar irakien.
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