Vue de l'extérieur, et pour autant qu'on s'en tienne à la logique, la victoire de la Liste Pim Fortuyn (LPF) aux Pays-Bas est incompréhensible.
La LPF arrive juste derrière le parti conservateur, qui va sans doute former le gouvernement avec son aide, et écrase les sociaux-démocrates, qui passeront à l'opposition. Pim Fortuyn, assassiné le 6 mai dernier par un illuminé - autre drame complètement inattendu dans un pays où la violence politique n'a jamais existé - avait certes une très grande popularité et énormément de charisme.
Mais le peuple hollandais (pas plus d'ailleurs que le peuple autrichien qui, lui aussi, s'est jeté dans les bras de l'extrême droite) n'avait pas de raison particulière de tenter une expérience nouvelle, après des années de social-démocratie qui lui ont apporté la prospérité et presque le plein emploi. L'ancien Premier ministre, Wim Kok, a réussi en Hollande à rétablir une dynamique économique de gauche et à faire reculer le chômage, exploit que ni la droite ni la gauche française n'ont accompli. La Hollande, en tout cas, a prouvé que face au modèle de développement libéral, il existait encore une alternative sociale-démocrate.
En outre, il règne aux Pays-Bas, pays du joint et de l'euthanasie, une liberté morale qu'on peut juger, selon ses convictions, excessive ou en avance sur son temps. Alors, de quoi les Néerlandais pouvaient-ils bien se plaindre ?
Un scrutin qui confirme le retour de la droite en Europe
Sans doute, précisément, du « relâchement » moral. En outre, le charisme de Fortuyn, orateur extraordinaire, portant beau, vêtu comme un prince et disant à voix haute ce que pense la partie du peuple néerlandais encore sous l'influence d'une austérité historique qui a assuré son succès commercial il y a déjà quelques siècles a certainement eu une influence sur l'électorat : les sondages annonçaient la victoire relative de la LPF avant qu'il ne fût assassiné. Et le crime a probablement soudé ses partisans.
Surprenant, mais attendu, le phénomène néerlandais confirme l'évolution des pays qui sont au cur de l'Union européenne. Les Pays-Bas sont membres fondateurs de la CEE, comme l'Italie, elle-même gouvernée par une droite aux confins de l'extrémisme, comme la France qui a failli, le 21 avril, être terrassée par le Front national.
Bien entendu, aucune des dérives française, hollandaise, autrichienne, italienne n'est identique à l'autre. De sorte qu'on ne parvient pas à englober la tendance des Européens à se laisser tenter par la droite de la droite dans le même terme. M. Le Pen est classé, à tort ou à raison, parmi les néofascistes. Le néofascisme italien tient un discours qui n'a rien à voir avec Mussolini et contient un clan séparatiste. Quant au parti de Jorg Haider, il fait plus de bruit que de mal et le comportement des Autrichiens n'en est pas vraiment altéré.
Dans le cas hollandais, on parle davantage du « populisme » de Pim Fortuyn, ce qui le rapproche davantage de Silvio Berlusconi que de Gianfranco Fini et le situe très loin de Jean-Marie Le Pen. Ne serait-ce que parce que Fortuyn était homosexuel, qui affichait sans aucune discrétion sa préférence sexuelle et qu'il combattait l'islamisme à cause du sort que réservent les fondamentalistes à l'homosexualité, parmi d'autres comportements qui trahissent des complexes masculins collectifs .
Une forte partie de l'électorat hollandais n'a sans doute retenu de ce combat contre les intégristes que son substrat xénophobe. Si bien que le lien plutôt distendu qui unit les droites extrêmes d'Europe, c'est l'intolérance à l'égard des minorités. Il n'y a là aucun mystère : la proportion des musulmans dans les immigrés venus en Europe occidentale est énorme, aussi bien en Autriche et en Allemagne, où l'on compte de nombreux Turcs et Kurdes, qu'en France, qui a une forte minorité maghrébine, et qu'en Grande-Bretagne, dont les musulmans viennent des pays asiatiques et africains du Commonwealth.
Un problème central
L'immigration est devenue un problème central, parce qu'aucun Etat européen n'est parvenu à en contrôler le flux. Tous les économistes affirment que, sans une immigration massive, l'Europe sera bientôt incapable de payer ses retraites et les soins aux personnes âgées. Elle n'est donc pas un mal en soi. Mais les pays européens ont besoin de personnels qualifiés, notamment dans les technologies nouvelles, et elle accueille des immigrés qui ne sont souvent formés à aucun métier. En outre, l'islamisme a causé un choc psychologique à l'Europe et les gouvernements qui ont traité la question avec une négligence bénigne, comme la France, l'Angleterre et l'Italie jusqu'à présent, ont été désavoués ou risquent de l'être par l'électorat. On assiste donc, avec des problèmes comme l'insécurité, le chômage (encore élevé en Allemagne, en France et en Italie) et l'intolérance naturelle à la présence culturelle des immigrés, à un virage à droite des sociétés européennes, au détriment de la social-démocratie.
Si elle est en déclin en Europe, c'est d'abord parce qu'elle a été combattue non sans un certain succès psychologique par le libéralisme économique (sauf en Hollande) ; c'est parce que deux pays sociaux-démocrates, la France et l'Allemagne, n'ont pas su tirer profit de la croissance des années 1997-2001 ; et enfin parce que, écartelés entre l'insécurité et leur tolérance idéologique, ils n'ont pas su apaiser l'inquiétude populaire.
Mais rien, dans cette dérive vers une droite nouvelle et dure, n'est comparable au fascisme ou au nazisme, même plus les idées actuelles d'un Front national qui a modéré son discours. Intolérance, xénophobie, distance trop grande entre gouvernants et gouvernés, entre élus et électeurs conduisent les peuples européens à rechercher une alternative à des expériences de gestion économique et sociale qui, quoi qu'en pense la gauche française, si fière de son bilan, sont aujourd'hui à bout de souffle. Chez nous, Le Pen nous a fait si peur que nous gardons une bonne chance, avec les élections législatives, d'essayer l'alternance classique. Si la droite appliquait des méthodes de gestion dynamiques et si la gauche passait cinq ans dans l'opposition, ce ne serait pas un drame.
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