C'est une mort à la Molière. Non pas en jouant le « malade imaginaire » mais en tenant le rôle d'un médecin bien réel. Le Dr Jean Gras s'est effondré, mardi en fin d'après-midi, terrassé par une crise cardiaque devant l'un de ses malades, dans son cabinet de Gien, dans le département du Loiret, où il consultait. Un cabinet de groupe où il exerçait avec six autres généralistes et qu'il n'avait jamais voulu quitter. Même lorsqu'il avait accédé, en mai 1991, à la présidence de la Fédération des médecins de France (FMF) parce que, disait-il, « le président doit être un médecin en exercice ».
Sa haute et imposante silhouette, courbée sous le poids d'une lourde sacoche dont il ne se séparait jamais, hantait les quais de la gare de Lyon où, plusieurs fois par semaine, il prenait son train pour Gien. C'est là qu'il trouvait toujours le temps d'appeler, depuis une cabine téléphonique, confrères, journalistes et responsables des pouvoirs publics pour donner une information, formuler une analyse, défendre un point de vue, refaire inlassablement l'histoire des relations entre les médecins libéraux et la Sécurité sociale. Une histoire qu'il possédait sur le bout des doigts, tant le syndicalisme médical était pour lui une seconde nature.
C'est dès 1970 qu'il entre au conseil d'administration de la Fédération des médecins de France, née quelques années auparavant d'une scission avec la CSMF, jugée alors trop favorable au système conventionnel. Mais c'est surtout à partir de 1984 que s'étendent ses responsabilités. Bras droit du Dr Jean Marchand, alors président de la fédération, il devient vite président délégué.
C'est l'homme de toutes les réunions techniques, de toutes les négociations politiques. Sa connaissance des dossiers fait merveille. C'est aussi le dauphin du président. En 1991, lorsque le Dr Marchand se retire, le Dr Gras est élu, à une courte majorité, président de la FMF. Depuis onze ans, il présidait aux destinées de ce syndicat dans des conditions souvent difficiles. Car si Jean Gras est un homme de dialogue, un partisan de la négociation, du compromis, du système conventionnel, s'il est naturellement porté vers un syndicalisme d'accompagnement plutôt que vers un syndicalisme de confrontation, il doit composer avec une base, plus radicale et parfois trop libérale. En 1993, sous sa présidence, la FMF refuse de signer la convention médicale instituant les références médicales opposables et la maîtrise médicalisée des dépenses et se retrouve, pour un temps, dans le même camp que MG-France, opposé à la CSMF et au SML. Après 1995 et le plan Juppé, le front commun CSMF-FMF-SML se reconstitue.
L'hommage de Bernard Kouchner
Mais là encore la base fait entendre sa voix. Jean Gras élabore avec quatre syndicats de salariés, la CSMF et le SML, la plate-forme du G7, mais son syndicat refuse de la signer parce que ce texte prévoit la suppression du secteur II dont la FMF avait lancé le projet. Depuis quelque temps, le président Gras, inlassable avocat de la médecine libérale, plaidait à nouveau pour le retour à la liberté des honoraires. Il n'aura pas pu mener son combat syndical jusqu'à son terme, ni participer à l'issue du conflit actuel qui secoue le monde de la santé.
D'une extrême courtoisie, disponible, affable, l'homme savait se mettre à l'écoute des autres. Le monde de la santé lui rend un hommage appuyé. Pour Bernard Kouchner, « le syndicalisme médical français perd une figure estimable et respectée ». MG-France s'associe « à la tristesse du monde syndical médical » et souligne que le Dr Gras « a joué un rôle important dans la défense de la profession, et plus particulièrement dans la formation médicale continue ».
Le fonds d'assurance formation de la profession médicale - dont le Dr Jean Gras était aussi président - rend hommage « à ses grandes qualités humaines, que ce soit dans l'exercice de son activité médicale ou à travers son engagement syndical ». Le Dr Cabrera, président du SML, salue un « homme affable, courtois », tout en indiquant que son action syndicale paraissait parfois « énigmatique ».
Chevalier de l'Ordre national du Mérite, le Dr Gras était marié et père de trois enfants. Ses obsèques auront lieu lundi 28 janvier à 10 h 30 en l'église de Gien. « Le Quotidien » présente à sa famille et à ses proches ses plus sincères condoléances.
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