FAUT-IL ABORDER tous les sujets avec un sérieux papal ? L'affaire de la Sncm (Société nationale Corse Méditerranée) a été l'occasion, pour la classe politique, de monter sur ses grands chevaux. Comme dans tout débat, on est pour ou on est contre. Sauf que, cette fois, certains se sont trompés de camp. Patrick Devedjian a dénoncé en tant qu'« ethnique » l'accord conclu à la Sncm qu'il a comparé aux lois de Vichy, pour être aussitôt tancé par Jean-Pierre Raffarin.
On est certes en droit de s'inquiéter du fait qu'une grève classique ait été récupérée par les nationalistes corses ; ils ont fait perdre assez d'argent à la direction de la Sncm pour que, de guerre lasse, elle accepte des conditions plus politiques que sociales. On est particulièrement fâché par la coïncidence entre la crise à la Sncm et le florilège d'insultes raciales qui recouvre, depuis quelques jours, beaucoup de murs en Corse. On n'ignore pas que, chez les indépendantistes, l'intolérance et la xénophobie sont fréquentes : le projet nationaliste repose sur l'identité corse ; c'est pourquoi les résidences secondaires des « continentaux » sont plastiquées, c'est pourquoi les gendarmes venus de la métropole sont persona non grata, c'est pourquoi on lit « Arabi fuora » sur les murs.
Il est plus facile de poser des bombes.
A cette violence, les nationalistes feraient mieux de substituer une culture de l'initiative individuelle et de la création d'entreprises. Mais il est toujours plus facile de poser des bombes.
En revanche, favoriser l'emploi des Corses par une société de ferries qui relie la Corse au Midi n'apparaît pas sur le champ comme une manifestation flagrante de pur racisme, ni même d'ethnocentrisme. Ce n'est pas la première fois que, au niveau des collectivités locales ou de l'Etat, on prend des mesures pour sortir une région, une commune ou un département de l'ornière. Avant d'entrer dans une polémique nationale où une chatte ne retrouverait pas ses petits (au point qu'un ministre n'a pas compris la direction du vent), on aurait pu faire la part des choses.
L'affaire a été d'ailleurs compliquée par l'attitude des syndicats de travailleurs qui, eux, ont dénoncé l'accord et attendaient de pied ferme, à Marseille, leurs collègues marins qui revenaient de Corse. A la CGT, on ne cache pas l'aversion qu'on ressent pour les nationalistes corses, soudain saisis par le « social » et décidés à faire de l'entrisme dans les organisations syndicales. On souhaite bien du plaisir aux uns et aux autres : deux groupes irréductibles de combattants en pleine collision. Finalement, la CGT et FO ont obtenu gain de cause, et le moins que l'on puisse dire, c'est que les engagements de la Sncm ne sont pas clairs.
D'autres raisons de s'indigner.
Sinon, le gouvernement n'a pas tort de relativiser l'affaire et de rappeler que le premier accord, qui n'était d'ailleurs qu'un relevé de conclusions, ne violait aucune loi sociale et encore moins la Constitution.
LA PUISSANCE DES CONVICTIONS CEDE LE PAS A LA TACTIQUE DU PORTE-VOIX
Sans minimiser ce qu'il peut y avoir de dangereux dans la xénophobie qui imprègne l'indépendantisme corse, nous devons nous consacrer à des causes, ou plutôt à des problèmes, plus graves.
On peut même se demander si la puissance des convictions n'est pas en train de céder le pas à l'amour des querelles ou, plus vrai encore, à la tactique du porte-voix, qui consiste à claironner son indignation et sa colère pour des vétilles pendant que sont commis partout dans le monde, du Darfour à l'Irak, des crimes d'une cruauté si intense qu'on ne trouve pas les mots pour les décrire.
La Corse est sûrement en crise et pose la question de notre unité nationale ou de la légitimité du sécessionnisme. Mais, enfin, quand on pense à ce que des insurgés irakiens sont capables de faire à leurs otages, quand on assiste à des atrocités qui exigent une férocité si grande qu'elles sortent du champ de l'humain, quand on mesure à quel point le discours permanent, répétitif, obsédant sur les « valeurs », le respect de l'autre, la foi et la piété est contrebattu par une bestialité qui, siècle après siècle, année après année, nous épouvante toujours plus, d'autant qu'elle s'appuie elle aussi sur la foi et la piété, on peut décider que prendre un ferry corse opéré par des marins corses n'est pas en soi un acte répréhensible.
On aimerait bien entendre quelques intellectuels arabes condamner l'intégrisme avec des accents assez sonores pour qu'ils fassent écho aux hurlements des torturés, des égorgés et des décapités.
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