LES TURCS NE DISENT PAS QU'ILS VEULENT ENTRER DANS L'UNION, ILS DISENT QU'ILS N'ONT PAS LE CHOIX
CONTRAIREMENT A CE QU'ON ÉCRIT, Jacques Chirac n'a pas prononcé un plaidoyer en faveur de l'intégration de la Turquie dans l'Union. Certes, il a réaffirmé que l'Europe a pris des engagements, que l'adhésion de la Turquie serait bénéfique aux Européens aussi ; mais il a posé des conditions, comme la reconnaissance du génocide arménien par les Turcs qu'Ankara n'est pas prête à admettre. Il a insisté sur le droit de veto de chacun des pays membres, donc de la France. Il a envisagé un processus assez long pour qu'on imagine que les Turcs qui deviendront européens ne seront pas tout à fait ceux d'aujourd'hui.
Un front du refus.
Ces réserves n'ont pas empêché les « contre » de critiquer vivement les paroles du chef de l'Etat. On sent que se construit rapidement en France un front du rejet de la candidature turque où on retrouveront, pêle-mêle, des gaullistes nationalistes, des socialistes, l'UDF de François Bayrou et d'autres encore. S'il n'en tenait qu'à la France et en dépit de l'apparent engagement du chef de l'Etat, le destin de la Turquie serait déjà scellé.
L'argument le plus puissant contre l'intégration de la Turquie, c'est la limite indispensable à donner à l'élargissement. Oui, mais ceux qui soudain trouvent l'Europe trop vaste, distendue, dispersée, sont les mêmes qui applaudissaient il y a quelques mois encore une Europe à 25 qui sera difficile à gérer et à gouverner.
Il est important que, face aux Turcs, les responsables de l'Union ne soient pas de mauvaise foi. Il est important qu'ils n'invoquent pas des arguments hypocrites destinés à cacher leur peur, comme l'irruption de 90 millions de musulmans dans une Europe très chrétienne. Il est important qu'ils affrontent leurs responsabilités : les Européens ont agi, à l'égard des Turcs, comme le monde à l'égard de l'environnement : la menace est lointaine, c'est un problème pour l'avenir. L'avenir, on y est : ce que nous avons promis il y a quarante au peuple turc, il va falloir le leur donner.
Négocier n'est pas signer.
La question se pose en ces termes : est-ce que nous allons produire une Turquie à l'image de l'Union, ou l'Union va-t-elle être contaminée par la Turquie ? Les uns disent : la négociation est irréversible, d'autres estiment que négocier un accord n'est pas signer un accord. Mais, enfin, même si la Turquie est un jour intégrée, elle devra faire la preuve de son « européanité » tous les jours. Imaginons un coup d'Etat à Ankara ; l'armée prend le pouvoir. L'Union peut alors exclure la Turquie. N'a-t-elle pas durablement boudé l'Autriche à la suite de l'arrivée de l'extrême droite dans la coalition gouvernementale ?
En outre, le sérieux des arguments qui militent contre l'adhésion de la Turquie, la qualité des hommes et femmes politiques qui se prononcent contre une telle adhésion, les majorités hostiles qui s'expriment dans la plupart des Etats membres n'empêchent pas le Parlement européen d'aller de l'avant : et, après tout, qui est le meilleur juge, sinon les députés élus par vingt-cinq peuples ?
On remarquera combien le Parlement et la Commission sont indulgents à l'égard de la Grèce et de l'Italie qui auraient truqué leurs comptes avant d'affirmer qu'elles respectaient les critères de Maastricht : il ne faut pas que l'Europe soit le club du copinage entre membres avertis qui se pratiquent de longue date, un club hermétiquement fermé à ceux avec qui nous avons moins d'affinités.
Cela dit, la Turquie est-elle acceptable en l'état actuel ? Mais non, et elle a un bout de chemin à faire : plus de démocratie, la reconnaissance de Chypre, une évolution vers la laïcité, l'abandon des méthodes de répression, une solution au problème kurde, la reconnaissance du génocide arménien, l'abolition du rôle politique de l'armée.
D'une part, la Turquie qui accédera à l'Union dans un certain nombre d'années aura changé, sera plus proche de nos exigences morales et politiques ; d'autre part, à notre contact et grâce au développement, elle ôtera spontanément les habits de l'arbitraire. Et si, en revanche, elle est gagnée par le fondamentalisme islamiste, elle sera du même coup disqualifiée.
On nous dit que la Turquie laïque n'est nullement un modèle pour le monde arabe. C'est vrai. Mais, d'après vous, pendant encore combien de temps les pays arabo-musulmans vont voir fleurir le droit et la prospérité dans le bassin méditerranéen sans jamais réagir ? Prenons un exemple : l'Egypte fait grand cas de l'évolution politique qu'entraîne la disparition d'Arafat. Elle vient de conclure avec Israël un accord économique fondé sur la création de zones franches et qui va multiplier par quatre ou cinq les échanges commerciaux avec Israël. Certes, les Etats-Unis ont pesé sur le gouvernement égyptien pour qu'il abandonne les vieilles lunes de la haine et du rejet ; mais les Egyptiens y trouvent leur compte. Ne pourrait-on pas dire que, avant même que la paix soit conclue, l'Egypte fait comme si elle l'était ?
Sans sombrer dans l'angélisme, on doit souligner à gros traits l'anachronisme des schémas militaires. La Turquie nous inquiète, à juste titre, mais peut-être excessivement. Les Européens devraient avoir confiance en eux-mêmes : ils sont le pot de fer sur lequel se briseront tous ces pots de terre que sont le terrorisme, la culture de mort, les projets de destruction pure. Les Turcs ne disent pas qu'ils meurent d'envie de devenir membres de l'Union, ils disent qu'ils n'ont pas le choix. Pas le choix. Car ils croient à une pente historique qui conduit à la paix et à la croissance.
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