L E débat sur l'interdiction du DDT, au nom de ses effets délétères sur l'homme, n'est pas clos. Le travail présenté dans le « Lancet », sur ce moyen de lutte contre le paludisme, apporte un argument supplémentaire aux tenants de sa non-utilisation. Il devrait être pris en compte dans l'évaluation des coûts et des bénéfices de la lutte contre le vecteur de l'infection.
Matthew P. Longnecker (Rockville, Etats-Unis) et coll. ont pu confirmer ce qu'avaient laissé suspecter des travaux antérieurs : le DDT, plus précisément son métabolite, le DDE, est impliqué dans des accouchements prématurés et des naissances d'enfants de petit poids. Avec le risque vital que cela implique.
Arriver à une telle conclusion, dans un pays où les populations ne sont plus exposées depuis plusieurs années, suppose de remonter dans le temps. Les auteurs sont donc partis d'une étude, l'« US Collaborative Perinatal Project », réalisée entre 1959 et 1966. Ils y ont sélectionné 44 000 naissances. Le taux de DDE [1,1-dichloro-2,2 bis (p-chlorophényl) éthylène] a pu être mesuré dans des échantillons de sang des mères, conservés depuis lors à - 20 °C. Seules 2 380 naissances ont satisfait aux critères de l'étude. Parmi elles, 361 ont eu lieu avant terme et 221, avec un enfant trop petit pour l'âge gestationnel.
Alors que la concentration actuelle moyenne en DDE aux Etats-Unis est largement inférieure à 15 microg/l, celle relevée sur les échantillons anciens est de 25 microg/l. L'odds ratio ajusté de naissance prématurée augmente parallèlement avec la concentration en DDE : 1,5 pour 15-29 microg/l ; 1,6 pour 30-44 microg/l ; 2,5 pour 45-59 microg/l et 3,1 au-delà de 60 microg/l. Un phénomène similaire, mais moins net, est mis en évidence pour les enfants de petit poids : odds ratio de 1,9 pour 15-29 microg/l ; 1,7 pour 30-44 microg/l ; 1,6 pour 45-59 microg/l et 2,6 au-delà de 60 microg/l.
Pas de relation en dessous de 10 microg/l
Il n'existe pas de relation entre DDE et risque obstétrical en dessous de 10 microg/l, taux fréquent aux Etats-Unis (à New York, il est même de 1,4). Un tel travail n'est donc plus possible sur les populations actuelles.
Reste à comprendre comment agit le DDE. Les auteurs suggèrent plusieurs hypothèses. Aucune n'apparaît vraiment convaincante. Le DDE pourrait saturer le récepteur aux androgènes, créant une insensibilité à ces hormones. L'insecticide empêche également la liaison de la progestérone à son récepteur. Enfin - et il s'agit là d'une simple supposition -, en inhibant la synthèse des prostaglandines, le DDE pourrait avoir une action neurotoxique sur le placenta.
En conclusion, les chercheurs américains répondent par avance à quelques remarques éventuelles. Ils précisent que, en ne retenant que les enfants vivants, ils ont écarté ceux qui, nés dans les mêmes conditions, sont décédés. L'implication du DDE peut avoir été sous-estimée.
D'un autre côté, de récents travaux suggèrent que le DDE est en grande partie lié à l'albumine. Si une albumine élevée est associée aux risques obstétricaux analysés, il pourrait y avoir eu un biais à l'étude. Le nombre de dosages d'albumine a été insuffisant pour pouvoir en tirer des conclusions. Reste, enfin, la fiabilité d'un dosage de DDE sur du sérum congelé depuis plus de trente ans. Il semble toujours valide, si l'on s'en réfère à des travaux du même ordre menés en Suède sur du lait maternel conservé pendant vingt-cinq ans.
« The Lancet », vol. 358, 14 juillet 2001, pp. 110-114.
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