ARTS
PAR JEAN-JACQUES LEVEQUE
Par une tyrannie du succès et des habitudes, on ne voit le cubisme qu'à travers l'uvre de Picasso qui n'y fit qu'une étape, la prodigalité de ses appétits le conduisant toujours vers de nouvelles orientations. Prodigieux dans ses inventions, il écrase de son prestige ses contemporains. Le cubisme dont il a exploré avec vigueur les possibilités n'est pourtant pas mort quand il l'a quitté. Dans un esprit de rigueur, une propension au prosélytisme, Albert Gleizes va longuement, méthodiquement, uvrer sous le signe du cubisme en lui donnant des règles strictes, une ambition monumentale qu'il se plaît à développer sur de nombreux chantiers (dont l'Exposition universelle de Paris, en 1937). On le verra se rapprocher de ceux qui en pratiquent les effets décoratifs comme Robert Delaunay ou Fernand Léger, mais il s'exprime avec encore plus de force maîtrisée dans une formulation « bien tempérée », quoiqu'empreinte d'une sorte de majesté reflétant ses aspirations religieuses.
Depuis l'expérience du groupe de l'Abbaye de Créteil (avec Georges Duhamel, Alexandre Mercereau, Charles Vildrac, René Arcos), jusqu'aux expériences d'une vie communautaire dans des entreprises agricoles (près de Saint-Rémy-de-Provence), on le voit soucieux d'intégrer sa démarche artistique dans un contexte humain qui deviendra de plus en plus ambitieux, et teinté de religiosité.
L'uvre de Gleizes épouse étroitement ses vues esthétiques largement exprimées par une série de textes où domine l'irritation de voir le cubisme (et son invention) strictement attribué au duo Picasso-Braque. Une guerre interne se poursuivra entre ces peintres soutenus par D.H. Kahnweiler, et ceux qui, autour de Jacques Villon à Puteaux, et dans le sillage des groupes « Cercle et Carré » et « Abstraction-Création » vont tenter de coordonner les riches développements du cubisme vers le futurisme, l'abstraction, lui donnant un corps historique radical alors que Picasso en fit un acte de rupture avec la peinture du passé.
Trop de certitudes
Théoricien, Gleizes souffre, aux yeux du public, de cet écart temporel entre l'invention du cubisme à travers Picasso et sa mise en pratique plus tardive, pourtant saluée par Apollinaire. Son style s'appuie trop scrupuleusement sur le texte, semble répondre à trop d'intentions et y perd de ce souffle qui est celui du lyrisme, de la poésie, voire du doute qui est un ferment d'inventions plastiques. L'art de Gleizes fonctionne sur des certitudes. Il s'y enlise parfois.
A le redécouvrir en effet de perspective, on ne peut pourtant ignorer la rigueur du contrat qui le liait avec une peinture hautement dirigée, conduite avec constance vers une densité qu'on ne peut lui nier, et qui lui donne son crédit face à l'Histoire.
Musée des Beaux-Arts de Lyon. Jusqu'au 10 décembre. Un catalogue fort bien conçu et très utile à la connaissance de l'artiste.
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