Relancé par l'économiste et historien Nicolas Baverez (1) qui, par ailleurs, dit beaucoup de vérités que les Français feraient mieux d'entendre, le thème du « déclin » de la France occupe une large place dans nos journaux.
Le mot fait rage, mais la réalité est infiniment plus compliquée. S'il s'agit de dire que la France n'est plus la superpuissance qu'elle a été sous Napoléon, alors le déclin est incontestable ; s'il s'agit de dire que les Français vivent moins bien aujourd'hui qu'en 1805, l'erreur est flagrante.
Le gazon du voisin
L'idée de déclin vient d'ailleurs moins d'une comparaison entre le passé et le présent, entre nous et les autres nations, que de la distance qui sépare certaines de nos aspirations nationales et le rôle réel que nous jouons dans le monde. En d'autres termes, si nous n'avions pas plus d'ambition que la Suisse, personne ne prononcerait le mot déclin, même si notre revenu per capita est inférieur à celui de notre voisine.
C'est d'ailleurs l'élément clé d'une évaluation de la France. Une accumulation de puissance conduit à l'impérialisme. Mais, avec l'ONU, les critères moraux qui définissent les relations internationales ont changé, sinon la façon, toujours cynique et autoritaire, de conduire ces mêmes relations. En tout cas, aucune nation au monde, pas même l'Amérique, n'exprime officiellement d'ambition impériale. De ce point de vue, la France a fait de grands progrès, surtout après la décolonisation. La grandeur nationale ne dépend plus de l'exercice de la force, tout au moins au niveau du discours. Dès lors que la morale et l'humanitaire deviennent les références essentielles d'une puissance, fût-elle moyenne, et que visiblement nous remplissons ces critères, il ne nous reste plus qu'à rechercher les signes de notre déclin dans l'évolution interne de notre société.
On entend ou on lit beaucoup de jugements sur le « retard » que nous aurions pris dans les domaines de l'économie, de l'éducation, de la recherche. Il est vrai que notre rythme de croissance est insuffisant depuis 1974, date du premier choc pétrolier. Notre croissance, de 1,7 % par an pendant près de trente ans, a été l'une des plus faibles de l'OCDE, ou même de l'Europe. On peut donc parler d'un appauvrissement relatif par rapport à d'autres pays industrialisés dont la croissance a été une fois et demie à deux fois plus rapide. Mais on ne peut pas parler de déclin, parce qu'il y a eu quand même une amélioration du niveau de vie des Français ; et aussi parce qu'il existe en France des éléments qui influencent positivement la qualité de vie. D'autres pays plus riches que nous, par exemple les Etats-Unis, comptent néanmoins une proportion plus élevée de citoyens démunis ou malheureux. C'est d'ailleurs ce qui a conduit un nombre élevé d'analystes compétents à stigmatiser le « déclin » américain, la tiersmondialisation des Etats-Unis (à cause d'un afflux énorme d'immigrés qui, certes, créent des poches de misère, mais apportent aussi, à terme, un sang neuf à l'Amérique qu'ils finissent par enrichir en s'enrichissant eux-mêmes) et l'injustice des relations sociales qui y règne.
Mais le déclin américain n'est pas plus prouvé que le déclin français. Dans notre « retard » (limité à certains secteurs, mais pas généralisé), il n'y a rien d'irréversible, pour peu que nous nous efforcions de le rattraper. Et dans certains cas, nous sommes en avance : avec le Concorde, nous avions un siècle d'avance ; l'expérience a échoué, probablement parce que la naissance de l'avion de ligne supersonique a coïncidé avec la crise de l'énergie. Mais le transport aérien deviendra un jour supersonique et on s'appuiera, pour généraliser ce type de véhicule, sur le Concorde.
De même, un certain archaïsme dans la façon de gérer l'économie (le même archaïsme a permis la création du Concorde) nous a incités à inventer cette merveille mondiale qu'est le TGV. Les investissements ont coûté très cher et n'auraient pas été possibles sans les deniers publics. Mais le TGV est une avancée que le monde entier nous envie. Dans le transport ferroviaire, personne ne peut parler de déclin français.
Personne ne peut dire non plus que nous n'avons pas créé de l'énergie nucléaire à bon marché, sans incident majeur jusqu'à présent, et nous avons ainsi assuré partiellement notre indépendance énergétique. Nous sommes probablement le seul pays qui ait vraiment réussi dans le domaine de l'électricité d'origine nucléaire et, loin d'abandonner cette forme d'énergie, nous devrions nous orienter vers les filières plus sûres et renouveler peu à peu notre parc de centrales.
Les Etats-Unis n'ont pas de train à grande vitesse, ils ont gelé leur parc de centrales nucléaires et dépendent du Proche-Orient pour leur énergie, ils ont renoncé à l'avion supersonique, ils n'ont pas de système d'assurance-maladie universel. Mais il est vrai que leur produit intérieur brut par tête est de loin supérieur au nôtre. Le mot déclin ne leur est pas plus applicable qu'à la France. Et en vérité, tôt ou tard, ils finiront par comprendre que ce qui exprime le mieux la grandeur nationale c'est le bonheur du citoyen. Ils vont faire une partie du chemin qui les sépare du welfare européen et l'Europe, donc la France, fera elle aussi, tôt ou tard, une partie du chemin qui conduit à la liberté d'entreprendre.
Deux maux opposés
Les Etats-Unis et la France souffrent de deux maux opposés : les premiers n'ont pas encore intégré la compassion dans les relations sociales, la seconde ne cesse de raisonner en termes compassionnels, tant et si bien qu'elle n'a plus un euro à investir dans le bien-être populaire.
La France ne décline guère, elle souffre d'un secteur public hypertrophié qui limite l'investissement privé, et en définitive se retourne contre l'Etat-providence lui-même. Le monde nous envie aussi notre système de soins, sans savoir qu'il est en train de couler. Trois ou quatre grandes réformes, de l'Etat, des retraites, de l'enseignement et de la recherche universitaire, de la santé, feront de nous un pays exemplaire.
Etant entendu que, comme le prouve le succès d'Airbus, le destin français est surtout européen. Certes, quatre lignes sur les réformes ne montrent pas combien la tâche est difficile, ni comment toutes les forces sociales se coalisent pour les faire échouer. La tâche serait presque insurmontable, si l'on en juge par les hésitations du gouvernement. Mais la réforme est inévitable ; elle sera donc accomplie.
(1) « La France qui tombe », Ed. Perrin.
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